THEME : « LES CAUSES ET CONSEQUENCES DE L’AGRESSION DE L’EST DE LA RDC » Par Paul NSAPU MUKULU, Président de la CNDH-RDC aux Etats Généraux de la Justice Congolaises du 06 au 13 Novembre 2024 [DOCUMENT].
0. INTRODUCTION
Depuis une trentaine d’années, la République Démocratique du Congo connaît des guerres d’agression et rébellions qui, toutes, ont été initiées par les Etats voisins à partir des provinces de l’Est.
Au regard du droit international, toutes ces guerres sont des agressions parce qu’à chaque fois des Etats voisins ont suscité des rébellions et les ont appuyées en envoyant leurs forces armées sur le territoire congolais.
Il s’agit de :
Initiée en août 1998, cette guerre ayant embrasé plus de la moitié du territoire national, prit fin cinq ans plus tard à la suite du Dialogue inter congolais tenu à Sun City en Afrique du Sud en 2003.
En juillet 2006, un militaire dissident des FARDC, Laurent NKUNDABATWARE, crée une nouvelle rébellion sous le nom de Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP). Issu de la fusion d’ONG locales, ce mouvement rebelle avait pour objectif la défense de la Communauté tutsi, la neutralisation des Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR), groupe rebelle hutu rwandais, basé au Nord Kivu. A l’instar du RCD, cette rébellion était, elle aussi, soutenue par le Rwanda.
Le 23 mars 2009, le CNDP a pris l’engagement de mettre fin à la guerre à la suite de la signature d’un accord de paix avec le Gouvernement Congolais.
Ces multiples guerres et rébellions ont été à l’origine de la création d’une multitude des groupes armés à l’Est du Pays. Certains de ces groupes se sont constitués en groupes de résistance aux différentes agressions ; d’autres groupes, par contre, ont été créés par les Etats agresseurs pour des fins multiples dont l’exploitation des ressources naturelles.
Comme cela nous a été demandé par les organisateurs de présentes assises, nous allons, dans la suite de cet exposé, présenté sommairement et dans quelques points : « les causes et les conséquences de l’agression dont la RDC est l’objet dans la partie Est de son territoire, spécialement dans le Nord-Kivu ».
Les causes de différentes guerres d’agression, le plus souvent camouflées en rébellions, sont multiples, endogènes et exogènes. Certaines plongent dans les racines du passé colonial de la RDC et relèvent même de l’ordre mondial ; d’autres causes sont plus récentes.
Les principales d’entre-elles sont : la recherche, la conquête d’espaces vitaux et des terres ; la convoitise des ressources naturelles et minières de la RDC ; la faiblesse de l’autorité de l’Etat congolais impliquant notamment la porosité des frontières et l’impunité des crimes internationaux.
Le Rwanda, tout comme l’Ouganda, invoque souvent des raisons de sécurité pour justifier la présence de ses troupes en RDC. Cette sécurité serait menacée par la présence sur le sol congolais des mouvements rebelles ougandais et rwandais. Cette raison est fallacieuse puisque les mouvements rebelles dont question (ADF-NALU et FDLR) ne constituent plus une menace sérieuse pour leurs Etats d’origine.
La première cause pour laquelle la RDC est agressée dans sa partie Est est la recherche, pour les agresseurs et, surtout, pour le Rwanda, des espaces vitaux ainsi que des terres. Cela explique le mensonge que le Rwanda s’évertue de diffuser aujourd’hui, celui de ses terres ancestrales qui se trouveraient en RDC.
Par les différentes guerres qu’il mène à l’Est de la RDC, le Rwanda cherche l’annexion d’une partie de la RDC et le déversement du trop plein de sa population dans les zones qui seront abandonnées par leurs occupants actuels au mépris du sacro-saint principe d’intangibilité des frontières.
La RDC est un pays au sol très riche et sous-sol regorgeant de toutes les ressources minières connues à ce jour et du reste, très convoitées.
L’envie du Rwanda et d’autres voisins de la RDC d’accéder aux minerais congolais et de les exploiter justifie, en grande partie, toutes ces guerres qui leur ont permis de se livrer, sans vergogne, au pillage des ressources qu’ils ne possèdent pas.
Avec ces guerres d’agression, le pillage des ressources minières et de la richesse nationale se fait à grande échelle.
Au cours de trente dernières années, l’autorité de l’Etat congolais a été amoindrie du fait notamment de :
1.4. L’impunité des crimes internationaux
La répétition des rébellions soutenues par les mêmes puissances étrangères s’explique aussi par le fait que les crimes internationaux commis au cours desdites rébellions et agressions sont restés impunis.
En effet, depuis la guerre de l’AFDL jusqu’à celle du M23, les principaux acteurs/auteurs, visibles comme occultes sont pratiquement les mêmes. S’ils avaient été poursuivis pour leurs crimes bien documentés et commis entre 1996 et 1997, ils n’auraient pas repris la guerre en 1998, ni en 2006, ni en 2012 et, encore moins, en 2022.
II. LES CONSEQUENCES DE L’AGRESSION DE L’EST DE LA RDC
L’agression de la RDC à l’Est de son territoire et plus particulièrement dans la province du Nord-Kivu, a de très nombreuses conséquences.
Pour des raisons de concision, nous citerons les tueries et les massacres de masse, les violences sexuelles, les vols, les extorsions, les destructions des biens privés, les déplacements massifs des populations entrainant multiples conséquences, la destruction des infrastructures et de l’environnement, le pillage et la perte d’énormes ressources pour l’Etat congolais.
2.1. Tueries et massacres de masse
Les différentes guerres menées à l’Est par les mouvements rebelles et leurs appuis étrangers, notamment l’armée rwandaise ont causé beaucoup de pertes en vies humaines qui se chiffrent, selon plusieurs rapports concordants, à plus de dix millions de victimes. Les personnes tuées sont soit des victimes directes de la guerre, soit des victimes indirectes. A ce chiffre s’ajoutent les victimes d’actes de barbarie tels que celles des attaques délibérées des populations civiles. Un exemple est celui du massacre des populations de KISHISHE dans le Nord-Kivu les 29 et 30 novembre 2022, par les terroristes du M23.
2.2. Violences sexuelles
Des milliers de femmes et de filles ont été violées ou ont subi des violences sexuelles au cours de différentes guerres comme mentionné plus haut. Le viol est devenu même une arme de guerre. Il touche les femmes de tous les âges, les bébés, voire même les hommes.
Des viols sur des fillettes de trois ans ont été signalés par les organisations qui ont enquêté sur ce fléau.
Les auteurs de viols et de violences sexuelles se recrutent chez tous les terroristes du M23 et groupes armés.
2.3. Vols, extorsions, évictions forcées ou destructions de biens personnels
Beaucoup de personnes ont perdu leurs biens personnels du fait des guerres d’agression.
De janvier à août 2024, le monitoring de protection du HCR et ses partenaires a rapporté de nombreuses violations et/ou abus du droit à la propriété (13. 152 incidents recensés).
Ces incidents incluent l’extorsion de biens (6.754 incidents), le pillage (3.591 incidents) et l’imposition des taxes illégales, etc.
2.4. Déplacement massif des populations
La RDC est dans le top 5 des Etats ayant le plus grand nombre de personnes déplacées internes (du fait des guerres). En effet, au cours des agressions dont question dans cette étude, ce sont les civils qui ont subi le plus gros des attaques.
A ce jour, la RDC compte plus de 6,4 millions de personnes déplacées internes dont plus de la moitié dans la province du Nord-Kivu. La situation s’est encore aggravée depuis le début de l’année 2024 avec plus de 940.000 personnes déplacées entre janvier et avril 2024, la plupart étant contraintes aux déplacements multiples.
Les conditions de vie dans les camps des déplacés internes sont déplorables : le surpeuplement avec comme conséquence une promiscuité importante et des problèmes d’hygiène, manque de nourriture, manque de soins de santé, manque d’eau et d’électricité, manque de toilettes, la récurrence des maladies de mains hydriques (cholera, fièvre typhoïde, …), insécurité croissante généralement causée par les hommes armés, la faible prise en charge sanitaire, ainsi que la faible scolarisation des enfants, etc.
2.5. La déscolarisation des enfants
Au lot de malheurs qu’ont apporté les guerres d’agression, il faut ajouter la déscolarisation des enfants. L’on enregistre, à ce jour, 750.000 enfants qui sont privés d’école dans les provinces du Nord-Kivu et d’Ituri du fait des conflits armés.
De nouveaux chiffres publiés par l’UNICEF montrent qu’entre janvier 2022 et mars 2023, au moins 2.100 écoles des provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri ont été contraintes de cesser leurs activités suite à la détérioration de la situation sécuritaire. Certaines d’entre elles ont été vandalisées.
2.6. Perte des ressources financières pour l’Etat congolais
Le pillage des ressources minières de la RDC par les Etats agresseurs se traduit en perte financière énorme pour celle-ci. Nous ne disposons pas de chiffres précis de cette perte. Il y a toutefois lieu de noter que celle-ci s’élève à des milliards de dollars américains.
III. IMPACT DES GUERRES D’AGRESSION SUR LES DROITS DE L’HOMME
Les guerres d’agression ont eu un impact très négatif sur la situation des droits de l’homme dans la partie Est de la RDC.
Les violations des droits et atteintes à ceux-ci ont été et sont encore massives. Toutes les catégories des droits de l’homme en sont affectées : droits civils et politiques, droits économiques, sociaux et culturels et droits collectifs.
(Nous citons, ci-après, les principaux droits violés ou auxquels des atteintes ont été portées) :
3.1. Droits civils et politiques
3.2. Droits économiques, sociaux et culturels
3.3. Droits collectifs
IV. CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
En conclusion, les causes et conséquences analysées ci-haut appellent l’accélération et l’effectivité du processus de Justice transitionnelle comprenant 5 principaux piliers ci-après :
A cet effet, la CNDH fait les propositions ci-après en rapport avec ces piliers précités :
Par ailleurs et au regard de la problématique de la levée du moratoire sur la peine de mort, la CNDH, comprenant bien la motivation ayant prévalu dans la prise de cette décision afin de mettre fin aux infiltrations et aux actes de sabotage et de trahison de certains des éléments de l’armée gouvernementale engagés au front à l’Est du pays, s’appuyant sur son Avis N°001/AP/CNDH-RDC/2024, avait préconisé qu’avant la reprise de l’exécution de la peine de mort en RDC, le Gouvernement se devait d’engager des réformes législatives de grande envergure.
Ces réformes consisteraient dans :
1. La modification des codes pénaux, civils et militaires afin de réduire considérablement le nombre d’infractions pour lesquelles la peine de mort peut être prononcée ;
2. L’édiction de nouvelles peines aux infractions qui auront cessé d’appartenir à la catégorie de celles actuellement punies de la peine de mort ;
3. La commutation, pour certaines personnes, de leur condamnation à mort en des peines qui auront été édictées, à la suite de la réforme, pour punir les faits pour lesquels ces personnes ont été condamnées à mort ;
4. Le fait d’offrir la possibilité d’aller en appel à tout condamné par une juridiction pénale ou statuant en matière pénale ;
5. L’interdiction automatique des exécutions dont un grand nombre seraient le fait des condamnations à mort pour des infractions qui ne sont pas des « crimes les plus graves » au sens de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
6. L’engagement des réformes législatives sans précipitation ;
7. L’abolition de manière irrévocable de la peine de mort à l’égard des faits qui ne constituent pas « des infractions les plus graves » ;
8. La rétention jusqu’à nouvel ordre, de la peine de mort pour les infractions de caractère militaire, d’une extrême gravité, commises en temps de guerre.
Je dis et vous remercie !
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