La déclaration des pionniers de l’indépendance sur la situation du pays a fait sursauter beaucoup de gens. Pour en voir le cœur net, la Rédaction du journal Les Coulisses a approché le président des Pionniers de l’indépendance, le multidimensionnel Cléophas Kamitatu Massamba pour qui : « Les pionniers de l’indépendance constituent une conscience nationale face à la menace de l’unité et de l’intégrité du Congo-Zaïre ».
Découvrons toute la signification de leur déclaration dans cette interview qui date de près de 28 ans passés, les problèmes qui minent le pays étant restés les mêmes jusqu’à ce jour.
Les Coulisses : Président, les pionniers de l’indépendance s’agitent. Dans la délégation congolaise à la Table-Ronde, il y avait aussi des « sujets rwandais ». Vous semblez ne pas prendre vos responsabilités dans cette affaire.
Cléophas Kamitatu Massamba : Ce n’est pas vrai. Déjà à la Table Ronde, nous avions adopté une résolution au terme de laquelle tous les sujets rwandais et burundais qui avaient la carte d’identité congolaise au 1er janvier 1960, étaient congolais de droit. Puisque nous les avions autorisés à participer aux élections et à se porter candidats. Un cas typique est celui de Cyprien Rwakabuba, élu Conseiller provincial du Kivu. En mai 1960, il fut ministre provincial de l’Enseignement du Kivu, puis transféré à Goma comme ministre provincial de l’Enseignement primaire et Secondaire en 1962. Notre génération n’a jamais posé ce problème. Nous avons connu une première guerre tribale entre les Hutu et les Hunde de Masisi en 1962. A l’époque, j’étais ministre de l’Intérieur et avions demandé à l’Armée de maintenir l’ordre. Je me suis rendu sur le lieu. Nous avons résolu le problème afin de les réconcilier avec le chef coutumier et les populations. Et depuis, on a vécu une vie pacifique. En 1969, le gouvernement congolais avec Étienne Tshisekedi à la tête du ministère de la Justice avait décidé de reconnaître les autres Tutsis entrés en 1959. Cette vague des réfugiés de 1959 faisait suite aux luttes tribales au Kivu. Cette fois-là, on a recensé les Tutsi comme citoyens zaïrois, en leur accordant des attestations de nationalité.
L.C. : Tout cela, sans tenir compte de cas individuels parmi lesquels il y avait des transplantés, des infiltrés … ?
C.K.M. : En 1972, malheureusement Barthélemy Bisengimana a fait pression sur le Président de la République pour que tous les Tutsi qui étaient au Zaïre soient reconnus zaïrois d’emblée. On a voté une résolution générale sans effectivement tenir compte de la situation individuelle de chacun. Tous sont devenus Zaïrois. C’est là que la population originaire du Kivu a commencé à protester. Une loi votée en 1981 rétablissait la situation en disant que ceux qui étaient déjà citoyens zaïrois les restent mais que tous les autres ne l’étaient pas. Chacun devant introduire son dossier suivant la procédure légale telle que le prévoyait la Constitution. Malheureusement encore, cette loi n’a jamais été appliquée par les différents gouvernements qui se sont succédé. Lesdits gouvernements ont été l’objet des pressions des lobbies tantôt zaïrois du Kivu, tantôt tutsi et ont cédé selon la force de la pression des uns et des autres. Voyez que ce n’est point la faute aux Pionniers de l’indépendance. Face au blocage et, nous prenons notre responsabilité pour éviter que le pays qui est dans la confusion entretenue, sombre davantage dans la confusion générale.
L.C. : Que peut-on retenir de cette guerre de nationalité à l’Est ?
C.K.M. : Au niveau de la procédure, les Pionniers de l’indépendance sont formels : les Hutu et les Tutsi entrés au Zaïre avant le 1er janvier 1960 sont sujets congolais-zaïrois de droit. On ne peut le leur refuser.
L.C. : A quoi vous attendez-vous en prenant position et que peut-on attendre de vous ?
C.K.M. : Mettons-nous d’accord. D’abord nous voulons rétablir la chronologie des faits. Nous avons décidé de prendre notre responsabilité de Pionniers en 1991 à travers l’Association des Pères de l’indépendance pendant la Conférence Nationale Souveraine. L’Association n’a pas bien fonctionné. En juin 1996, nous nous sommes réunis et avons constaté que le pays ne semblait pas marcher et s’enfonçait davantage dans le bourbier. Tout ce qu’on propose ne résout rien. Nous ne devons pas continuer à nous taire. Dressons nos fronts et prenons position pour orienter ce pays qui va dans la confusion générale. Malheureusement, on a mis du temps à se mettre d’accord. En août, j’ai convoqué la réunion avant que le Chef de l’État, Le maréchal Mobutu ne soit opéré. A la réunion du 27 août 1996, on a annoncé son opération. Immédiatement, nous avons arrêté la série de nos réunions publiques de peur d’être accusés d’opportunistes. Nous avons gelé jusqu’au moment où la guerre a éclaté à l’Est. Aussitôt, nous avons ressorti nos documents.
L.C. : On accuse votre document de ne traiter que sur les Tutsi. Qu’en dites-vous ?
C.K.M. : Ce n’est pas correct. Un seul point sur les 2 parle de la reconnaissance de la nationalité aux Tutsi. Les autres touchent à tous les secteurs : gestion de l’État, la guerre, l’économie, le bien-être de la population … Bref à l’orientation nationale que nous, les Pionniers, voulons donner à ce pays. Pour les Pionniers de l’indépendance, les Banyamulenge ne sont pas des Zaïrois. Car, ils sont arrivés par les vagues de 1963 et 1972 et se sont proclamés Banyamulenge en 1976. Nous ne les reconnaissons pas comme des Zaïrois de droit.
L.C. : On vous accuse de reconnaître les Tutsi et d’être favorables à leur cause.
C.K.M. : Nous n’avons tenu aucune réunion pour la reconnaissance des Tutsi. La guerre qui nous est imposée est le fait du mauvais traitement du dossier de la nationalité des Tutsi. C’est ça la vérité. C’est parce qu’il a été mal géré par les différents gouvernements depuis 1972 que nous en sommes arrivés à la guerre avec les Banyamulenge. Notre déclaration doit être comprise dans le contexte général et global. Nous intervenons dans le contexte d’un pays totalement à l’abandon qui n’a plus de guide politique, ni d’orientation et dont le pouvoir ne s’exerce nulle part. Nous intervenons pour dire : « Ce qui nous a guidés en 1960, c’est le nationalisme congolais. Ressuscitons-le dans le cœur de tous les Zaïrois, mettons-nous tout autour pour bâtir le nouveau Zaïre en commençant par organiser la guerre puisque nous devons récupérer le territoire perdu ».
L.C. : Et les moyens pour y parvenir ?
C.K.M. : Nous sommes une conscience nationale. Nous ne sommes pas un parti politique et ne faisons pas le programme d’un parti. Nous sommes les éclaireurs. Quitte aux partis qui veulent accéder au pouvoir de tirer profit de notre déclaration d’orientation pour proposer des mesures concrètes. Il y a un gouvernement de fait. Et puisqu’il est là, nous lui disons : « protégez la population, donnez à l’armée les moyens d’aller gagner la guerre, relancez notre diplomatie ». Les Pionniers de l’indépendance n’ont pas constitué un parti politique, ni un ordre pour prendre le pouvoir mais une conscience nationale pour que le rappel historique ramène toujours les Zaïrois vers le même objectif de défendre l’unité et l’intégrité du territoire national.
L.C. : Mais les Pionniers sont aussi bipolarisés, divisés en tendance. Un même langage entre vous tous est-il toujours possible ?
C.K.M. : La conscience nationale prime avant toute chose. Au sein de notre groupe, tous les partis politiques se retrouvent : Pierre Mombele (UDPS zélé), Losembe (PDSC/Bo-Boliko), Kamitatu (FPC), Bomboko et Nendaka (USORAL/Kengo), Shabani et Masengu (MPR puritains), etc. On s’est référé à ce que nous avons été à l’indépendance, une quarantaine des partis. Personne pour le moment ne possède le pouvoir d’agir seul. L’Acte Constitutionnel de la Transition (ACT) qui croyait qu’en agençant le pouvoir, on arriverait à de bons résultats, a échoué. Parce que la guerre est venue perturber tout.
L.C. : Puisque le pouvoir est dans la rue. Comment les Pionniers jugent-ils les institutions de la transition ?
C.K.M. : Nous constatons qu’au sein de quatre institutions, il y a des problèmes graves. La Présidence est bloquée par la maladie et l’absence du président de la République. Le HCR-PT ne fonctionne pas normalement pour deux raisons. D’un, les Conseillers ne prennent pas leur responsabilité pour donner aux problèmes nationaux réels de maintenir leur place normale. Ils discutent du sexe des anges pendant que le feu brûle dans la maison. De deux, c’est une institution sans animateur. Ils doivent pourvoir à cette carence.
L.C. : Pas nécessairement Monseigneur Laurent Monsengwo ?
C.K.M. : Monseigneur Monsengwo, c’est fini. Il a donné sa démission, dégoutté de tout ce qui se faisait là. Le poste est vacant. Il manque un président. Il faut le combler, toute affaire cessante. Le gouvernement n’a répondu à aucune exigence qu’on attendait de lui, ni sur la politique générale, moins encore dans la conduite de la guerre. Il n’a pas exécuté ses obligations. Nous le constatons sans prendre position. Les Cours et tribunaux, c’est une structure qu’on a soutenue depuis des années sans lui donner les moyens d’exercer une bonne justice. Un cas ! Les militaires sont en train de fuir la guerre au Kivu. La loi militaire prévoit que le commandement de l’armée défère le fuyard devant les cours et tribunaux militaires. Or, personne ne défère les réfractaires. Comment peut-on espérer gagner alors cette guerre ?
L.C. : Monsieur le Président des Pionniers de l’indépendance, vous parlez de « on ». Mais le « on » c’est qui ?
C.K.M. : Le « on », c’est la conscience nationale. Personne pour le moment ne possède le pouvoir d’agir seul. L’Acte constitutionnel qui a cru qu’en agençant le pouvoir, on arriverait à de bons résultats, a échoué … parce que la guerre est venue perturber tout. Et aujourd’hui, puisqu’il n’y a pas de pouvoir, le « on », c’est le peuple. Celui que le peuple portera au pouvoir par un mécanisme ou par un autre, devra assumer ses responsabilités. A notre niveau, avons-nous dit : reconstituons le lobby nationaliste qui rappelle à chacun les obligations sacrées.
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A bâtons rompus avec Nicaise Kibel’Bel Oka, Kinshasa, avenue les Citronniers/Gombe, le 4 décembre 1996
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