Par : David RICH
L’entrée des rebelles du M23 et de forces rwandaises à Goma, grande ville frontalière de l’est de la République démocratique du Congo, ravive les braises d’un conflit de plusieurs décennies dans la région congolaise du Nord-Kivu, au centre d’une guerre d’influence régionale.
La situation demeure confuse à Goma où des tirs à l’arme légère et de fortes explosions ont de nouveau été entendus dans plusieurs quartiers mardi 28 janvier.
Dimanche soir, après plusieurs jours d’affrontements en périphérie, des rebelles du groupe M23 (Mouvement du 23 mars) et des membres des forces rwandaises ont pénétré dans la grande ville de l’Est de la République démocratique du Congo.
De son côté, le Kenya a annoncé la tenue mercredi d’un sommet régional d’urgence en présence des présidents rwandais Paul Kagame et congolais Félix Tshisekedi. Ce dernier a rompu fin janvier les relations diplomatiques avec son voisin qu’il accuse de lui avoir « déclaré la guerre » en envoyant des forces sur le sol congolais. Des accusations soutenues par l’ONU mais rejetées par le Rwanda qui revendique une « posture défensive durable » pour sa sécurité nationale.
Si l’entrée à Goma des forces rebelles du M23 et de leurs soutiens rwandais marque un tournant dans l’escalade des tensions entre la RD Congo et le Rwanda, la crise sécuritaire dans la région est loin d’être une situation nouvelle. Elle n’est pas sans rappeler la percée de novembre 2012, quand le M23 s’était emparé brièvement de Goma avant d’être mis en déroute un an plus tard par l’armée congolaise et les casques bleus de l’ONU.
La dernière offensive en date s’inscrit dans un conflit vieux de plusieurs décennies entre Kinshasa et Kigali qui s’accusent mutuellement d’ingérence transfrontalière par l’intermédiaire de groupes rebelles, dans cette région du Nord-Kivu aux immenses richesses minières.
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Instabilité chronique liée au génocide au Rwanda
L’instabilité chronique dans cette région est intrinsèquement liée au génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, qui a fait plusieurs centaines de milliers de morts et provoqué un exode massif. Environ deux millions de Hutu, dont des génocidaires, avaient traversé la frontière, provoquant une crise humanitaire dans l’est de la RD Congo, alors appelée République du Zaïre. Trois ans plus tard, Mobutu est chassé du pouvoir, après plus de 30 ans de règne dictatorial, par la rébellion de Laurent-Désiré Kabila, alors soutenue par le Rwanda et l’Ouganda. Cette « première guerre du Congo » aggrave encore la situation dans l’Est du pays, provoquant un vide sécuritaire, favorable à l’émergence de groupes armés, tandis que les camps de réfugiés situés près de la frontière sont perçus comme une menace par le Rwanda.
Alors que Laurent-Désiré Kabila tente de se défaire de l’influence du Rwanda, une seconde guerre éclate en 1998 entre le gouvernement central et une nouvelle rébellion au Kivu, soutenue de nouveau par le Rwanda et l’Ouganda. La RD Congo dénonce l’« agression » de Kigali, qui affirme déjà que son intervention est motivée par des raisons de « sécurité nationale ».
En 2002, le Rwanda et la RD Congo signent un accord de paix. Mais l’accalmie est de courte durée. Deux ans plus tard, une rébellion éclate dans la province du Sud-Kivu puis s’étend dans le nord, dirigée par deux anciens officiers de l’armée congolaise que les autorités accusent le Rwanda de soutenir. Kigali dément.
Alliance de 2009
En 2006, l’un de ces chefs rebelles, Laurent Nkunda, lance sa propre milice, le Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP). Kinshasa accuse de nouveau le Rwanda d’être à la manœuvre. Mais trois ans plus tard, coup de théâtre : ce chef rebelle est arrêté lors d’une opération conjointe entre les armées rwandaise et congolaise. Dans la foulée, la RD Congo signe un accord de paix avec le CNDP prévoyant la transformation du groupe en parti politique et l’intégration de ses forces au sein de l’armée et de la police congolaise.
Ce rapprochement entre la RD Congo et le Rwanda s’explique par l’engagement commun des dirigeants Joseph Kabila et Paul Kagame d’éradiquer les FDLR (Forces démocratiques de la libération du Rwanda) –groupe d’exilés hutus opposés au régime de Kigali– du territoire congolais. Le 6 août 2009, une rencontre historique a lieu à Goma entre Paul Kagame et Joseph Kabila, marquant la reprise de relations diplomatiques rompues depuis de nombreuses années.
Émergence et résurgence du M23
Très vite pourtant, l’accord de paix entre le pouvoir congolais et les rebelles du CNDP montre ses limites. Dénonçant une mauvaise application de l’accord, d’anciens rebelles tutsis incorporés dans l’armée congolaise créent en 2012 un nouveau groupe rebelle dans l’Est du pays.
Le « Mouvement du 23 mars » ou M23 –dont l’ONU affirme qu’il est soutenu par le Rwanda– s’empare alors de plusieurs villes du Nord-Kivu, dont la ville clé de Goma, pendant plusieurs jours. En 2013, le groupe est vaincu par une offensive conjointe de l’ONU et de l’armée congolaise. Exilé dans les pays voisins pendant près d’une décennie, un groupe reconstitué du M23 réapparaît en 2021 dans l’est de la RD Congo où il mène plusieurs attaques contre des positions militaires.
La résurgence du M23 a déclenché une nouvelle crise entre le Rwanda et la RD Congo. En juillet dernier, un rapport d’experts de l’ONU a révélé que jusqu’à 4 000 soldats rwandais combattaient aux côtés du M23 et que Kigali avait le « contrôle de facto » des opérations du groupe.
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Si le M23 est considéré aujourd’hui comme le plus actif, plus de 100 groupes rebelles sont présents dans l’Est de la RD Congo, parmi lesquels les FDLR (Forces démocratiques de la libération du Rwanda), dont Kigali affirme qu’elles constituent une menace pour sa sécurité nationale.
Alors que les combats font rage à Goma, les Nations unies alertent sur le sort des centaines de milliers de personnes qui tentent actuellement de fuir la ville. Avant même l’offensive sur la métropole, la reprise des violences avait déjà provoqué le déplacement de plus de 400 000 civils depuis début janvier, selon l’ONU.
Avec AFP