Le Rwanda a annoncé mardi 18 février 2025 sa décision de suspendre le « le reste du programme d’aide bilatérale 2024-2029 » belge dans le pays. Une demarche qui fait suite aux pressions de la communauté internationale qui montent de partout avec bientôt des sanctions attendues, la Belgique étant sur le point de suspendre son aide à la coopération.
Le ministre des Affaires Étrangères belge, Maxime Prévot, a affirmé le même mardi soir « prendre acte de la décision du Rwanda de suspendre le programme de coopération bilatérale avec la Belgique, soulignant que son pays était en train de revoir celle-ci en vue de prendre des mesures, dans le contexte de la violation par le Rwanda de l’intégralité territoriale de la RDC ». Le budget de ce programme bilatéral étant de 120 million d’euros selon le site de l’Agence belge de développement Enabel.
La Belgique avait notamment demandé fin janvier à l’Union européenne (UE), alors que le M23 et les troupes rwandaises venaient de s’emparer de Goma, d’envisager des sanctions. L’UE avait annoncé samedi, après que le Parlement européen a appelé à suspendre un partenariat sur les matières premières avec le Rwanda, examiner « en urgence » toutes les options à sa disposition. Plaidant pour une approche plus ferme contre Kigali, Bruxelles aurait fini par prendre des mesures ici anticipées, a réagi le chef de la diplomatie belge.
Ainsi dans une tentative maladroite d’anticipation face aux sanctions attendues pour bientôt, Kigali accuse l’ex-puissance coloniale d’avoir pris fait et cause pour Kinshasa et contre lui dans le conflit en cours dans l’Est de la RDC. Une « campagne agressive » visant à saboter « l’accès du pays au financement du développement, y compris auprès des institutions multilatérales », selon le ministère rwandais des Affaires étrangères. Au total, le Rwanda perçoit environ 1,3 milliard de dollars d’aide internationale, un revenu substantiel quand on sait que ses derniers budgets annuels avoisinaient à peine les quatre milliards.
Et comme pour se dédouaner de son aventure militariste en RDC, Kigali s’explique en écrivant que « La Belgique a pris une décision politique en choisissant un camp dans ce conflit, ce qui est son droit, mais politiser le développement est fondamentalement inacceptable. Aucun pays de la région ne devrait voir son financement au développement compromis à des fins de pression politique. Des mesures punitives et unilatérales ne peuvent être perçues que comme une ingérence extérieure injustifiée, qui affaiblit le processus de médiation dirigé par l’Afrique et risque ainsi de retarder la résolution pacifique du conflit. De telles mesures ont déjà échoué à maintes reprises par le passé, ne faisant qu’aggraver les problèmes et les reporter à plus tard ».
Reconnu pour sa duplicité en utilisant la technique anglophone de « talk and fight », le Rwanda dit s’en tenir au « respect mutuel » avec un plein soutien à la « médiation de l’UA/EAC/SADC » essentielle en ces moments difficiles pour notre région » ; alors que ses supplétifs affidés terroristes du M23/AFC continuent d’occuper des pans entiers des provinces du Nord au Sud-Kivu.

La réalité de l’intervention de Kigali en RDC étant la volonté de contrôler l’exploitation et le commerce de minerais dont le sous-sol de l’Est de la RDC est riche utilisés dans les nouvelles technologies et la transition énergétique comme les batteries et les équipements électroniques. Ce que dément le Rwanda, prétextant que sa sécurité est menacée par certains groupes armés présents dans la région, notamment les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), créées par d’anciens responsables hutu du génocide de 1994.
Dans la fébrilité qui s’est emparé du régime, on peut lire que : « le Rwanda ne se laissera ni intimider ni faire chanter au détriment de sa sécurité nationale. Notre seul objectif est d’assurer une frontière sécurisée et de mettre définitivement fin aux politiques d’extrémisme ethnique dans notre région… ».
Une frappe belge qui fait mal…
Contrairement à ses prédécesseurs, le nouveau ministre belge des Affaires étrangères et de la Coopération au Development, Maxime Prévot ; a eu des mots très dures face à l’ingérence militaire rwandaise dans le conflit à l’Est du Congo. Il n’a pas hésité à parler d’envisager des sanctions contre Kigali, y compris au niveau européen.
Le communiqué du 15 février 2025 était clair de la condamnation ferme de « l’offensive sur Bukavu par le M23/AFC soutenu par le Rwanda ». Outre « les souffrances humaines et les risque d’extension du conflit » dans la sous-région, la Belgique insiste sur « le respect de l’intégrité territoriale de la RDC, des droits humains et du droit international humanitaire ainsi que la protection des civils » qui demeurent « primordiaux ».
La Belgique exige que le « M23/AFC et les troupes rwandaise se retirent » des territoires congolais occupés. Ainsi, l’ancienne métropole colonisatrice de la RDC et du Rwanda compte t’elle agir « avec nos partenaires européens et internationaux pour que cette situation ne reste pas sans réponse ». Des « gestes devraient posés pour renforcer la cohésion de la RDC et traiter les causes profondes du conflit » fin de citation.

Un précédent Karega en Belgique
La saga Vincent Karega, ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ambassadeur en Afrique du Sud et en RDC était déjà un fâcheux précédent entre les deux pays. Plus d’un an après sa nomination comme nouvel ambassadeur rwandais à Bruxelles, il n’avait toujours pas reçu son accréditation officielle ; ce qui avait provoqué une colère verte de Kagame et des représailles contre l’Union européenne en refusant à son tour l’ambassadeur désigné à Kigali. Pourtant, c’est la même Union européenne qui lui accordera quelque temps 20 millions d’Euros pour soutenir ses troupes militaires déployées au Mozambique et aujourd’hui honnies par la population locale de ce pays qui ne demande que leur retrait.
Mais pourquoi alors la diplomatie belge avait-t-elle refusé d’accréditer Vincent Karega comme nouvel ambassadeur du Rwanda, en Belgique ? La réponse se trouve quelques années en arrière. Karega avait été, entre 2011 et 2019, ambassadeur en Afrique du Sud. Durant sa mission et sa présence dans ce pays, trois hommes (deux Belges dont un d’origine rwandaise et un dissident rwandais) ont perdu la vie dans des conditions jugées suspectes.
Le parquet fédéral belge ayant ouvert une enquête concernant la mort des deux Belges et tant qu’elle est en cours, Vincent Karega n’était pas le bienvenu en Belgique. Ce sujet s’inscrit aussi dans le cadre de l’enquête qui plonge au cœur du régime répressif de Kagame, une enquête réalisée par 50 journalistes, issus de 17 médias différents, le tout coordonné par le réseau international de journalistes d’investigation Forbidden Stories.
Dans sa colère, c’est le libéral belge Bernard Quintin devenu ministre belge des Affaires étrangères qui en paiera le prix. Désigné ambassadeur de l’Union Européenne à Kigali, Kagame lui refusera l’accréditation. Trépignant d’impatience qui avait viré à la frustration du fait du refus gouvernement belge d’accréditer Karega, Kagame déclarait dans son interview accordée à l’hebdomadaire parisien Jeune Afrique que le « Rwanda n’enverra pas d’autre ambassadeur à Bruxelles que Vincent Karega, dont la Belgique a refusé l’an dernier l’agrément sans donner d’explication claire ».
Et pour justifier son coup de sang, Kagame voyait dans la décision belge « la main de la République démocratique du Congo » qu’il tente d’accuser dans sa hantise : « Lorsqu’il s’est agi de changer d’ambassadeur à Bruxelles, nous avons décidé d’y envoyer Vincent Karega. D’autant qu’il est très au courant de la situation, puisqu’il a déjà été ministre des Affaires étrangères, et qu’il connaît bien l’Europe et Bruxelles. Au bout d’un certain temps, Bruxelles nous a dit qu’il ne souhaitait pas l’accréditer, et qu’il fallait envoyer un autre ambassadeur. Lorsque nous avons demandé des explications, on nous a raconté des histoires sur ce qu’il s’était passé lorsque Vincent Karega était ambassadeur en Afrique du Sud. Ce à quoi nous avons répondu que, puisque cela ne l’avait pas affecté lors de sa mission en RDC, cela ne devrait pas avoir d’incidence sur sa nomination en Belgique. Nous avons demandé (aux Belges) de nous expliquer ce qu’il en était en réalité, mais leur réponse n’a été en rien satisfaisante, il n’y a pas d’explication claire » expliquait le chef d’Etat rwandais dans Jeune Afrique.
Désigné par son gouvernement pour remplacer Dieudonné Sebashongore et nommé ambassadeur en juillet 2020 à la tête de ce qui est le plus important service diplomatique du Rwanda sur le continent européen, Vincent Karega n’aura jamais occupé son nouveau poste malgré sa présence à Bruxelles et alors qu’il venait d’être déclaré persona non grata et expulser de Kinshasa le 30 octobre de la même année au plus fort des tensions entre la RDC et le Rwanda.
A lire aussi : RDC : L’ambassadeur du Rwanda Vincent Karega quitte Kinshasa https://www.afriwave.com/2022/11/01/rdc-lambassadeur-du-rwanda-vincent-karega-quitte-kinshasa/
Même si le ministère belge des Affaires étrangères n’avait jamais fait aucun commentaire officiel sur le refus d’octroyer l’accréditation diplomatique à Vincent Karega, officieusement on sait que l’ancien ministre des Affaires étrangères rwandais devenu diplomate traîne avec lui une réputation sulfureuse depuis qu’il avait été ambassadeur en Afrique du Sud.
En 2014, il avait dû faire face aux accusations répétées de Pretoria qui affirmait que des diplomates rwandais étaient impliqués dans des attaques et des persécutions contre des opposants rwandais réfugiés dans le pays. De leurs côtés, la diaspora congolaise et les opposants rwandais en Belgique critiquaient par ailleurs la venue de Vincent Karega à la tête de la plus grosse ambassade rwandaise en Europe. Cet élément supplémentaire pourrait expliquer le refus de la Belgique de l’accréditer.
Le fait le plus grave lors du mandat de Vincent Karega en Afrique du Sud fut notamment l’assassinat du général rwandais Patrick Karegeya, ancien chef des services secrets rwandais dont le corps avait été retrouvé le 02 janvier 2014 dans l’hôtel Michelangelo à Johannesburg. Tutsi né dans le camp de réfugiés rwandais à Mbarara en Ouganda en 1960 et jadis très proche de Kagame, cet officier était devenu son poil à gratter comme son farouche opposant. Des indiscrétions racontent qu’il avait été éliminé justement parce qu’il détenait beaucoup de secrets sur les nombreux crimes de guerre et crime contre l’humanité commis par Paul Kagame. Parmi ces crimes figurait la planification par Kagame du génocide rwandais de 1994 dont Karegeya s’apprêtait à livrer les preuves accablantes à la justice française.
Il faudrait également ajouter à cette liste l’assassinat d’un autre tutsi-rwandais devenu opposant en la personne de Camir Nkurunziza, ancien garde du corps de Kagame reconverti en simple chauffeur de taxi abattu dans sa voiture le jeudi 30 mai 2019 dans la ville de Cape Town en Afrique du Sud. Cette mort avait fait réagir à Kigali, notamment l’ancien ministre des Affaires Est-Africaines Olivier Nduhungirehe aujourd’hui ministre des Affaires Etrangères ; pour qui Nkurunziza était un terroriste en exil, « Criminel un jour, criminel toujours », avait-t-il déclaré sur Twitter. Mais aussi et surtout de la tentative d’assassinat contre un autre général tutsi rwandais Kayumba Nyamwasa le 19 juin 2010 qui l’avait échappé de belle en pleine coupe du monde toujours en Afrique du Sud.
Natif du Congo à Walikale, dans la province du Nord-Kivu où il a vu le jour, Vincent Karega autrefois connu comme « Zaïrois » ne serait officiellement devenu Rwandais qu’en 1995 ; un an après la prise par la force du pouvoir à Kigali de Kagame et son Front Patriotique Rwandais (FPR) au lendemain du 04 avril 1994. Son passage comme ambassadeur en RDC avait aussi été controversé, il fut à maintes reprise accusé de nier le rôle du Rwanda dans les massacres de civils dans l’Est du Congo en 1998.
Un frère de Karega tué dans la rébellion
Au-delà des rumeurs, c’est la véritable histoire du Colonel Castro dit « Bravo One » du M23. De son vrai nom Mberabagabo Castro, le frère de Vincent Karega a été neutralisé après une frappe chirurgicale d’un drone des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) opérée sur une base logistique située à Kahe, sur la Coline de Saibero, une position des rebelles RDF-M23 à Kitshanga le 15 janvier 2024. Une perte reconnue par les supplétifs de l’armée rwandaise, les terroristes du M23 dans un communiqué daté de ce 17 janvier 2024 reconnaissent la mort de deux de leurs commandants sans pour autant les nommer lors de l’opération congolaise.
Outre la mort de Castro Mberabagabo du M23 qui est désormais confirmée, l’on citerait celle du Colonel Gakwere, de deux Majors ougandais, Claude et James ; combattant aux côtés du M23/RDF et dont les sources concordantes avaient alerté depuis plusieurs mois de leur présence avec une logistique dans les rangs du M23-RDF à Kitchanga dans le Masisi. Un autre colonel M23, Damascène dont les premières indices disaient qu’il était aussi gravement blessé, les autres victimes étant le Colonel Bahati Eraston qui s’en sorti gravement touché aux membres inférieurs et supérieurs y compris la tête. Ce qui laisse penser qu’il n’avait pas survécu, et dans le cas contraire, serait amputé. Il faut aussi souligner la mort du Colonel Rutaisire, un officier rwandais RDF et ses hommes d’escorte.
Quant au Colonel Castro à droite sur cette photo en jeans bleu et chemise blanche manche en compagnie de Bertrand Bisimwa et d’autres personnes lors d’une visite chez Uhuru Kenyatta, il est loin d’être un inconnu dans les cercles du M23. Agissant comme le cerveau du renseignement au sein du mouvement rebelle, cet homme trentenaire a joué un rôle central au sein de la nébuleuse M23. Son parcours au sein du mouvement a débuté à l’âge de 20 ans, et depuis, il avait gravi les échelons pour occuper des postes clés tels que l’adjoint de Bertrand Bisimwa, responsable des finances, pour terminer en tant que G2, CIMIC, etc.

En novembre 2022, c’est lui qui avait intimé l’ordre à la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation en République Démocratique du Congo (MONUSCO) de quitter les zones sous contrôle du M23. Un ultimatum suivi de près par le retrait précipité de la force de l’ONU de ses bases temporaires de Kabindi et Rwanguba. Pour la petite histoire, « Bravo One » avait quitté la RDC en décembre 2023 via l’Ouganda, où il possède des investissements ; pour rejoindre la Grande-Bretagne et passer les fêtes de fin d’année en famille. Marié à une femme vivant entre Londres et la Belgique, le Colonel Castro demeurait un personnage clé, contrôlant tous les mouvements dans la région de Rutshuru.
Sa disparition n’a rien changé fondamentalement la menace que représente les terroristes affidés du M23. Comme tout militaire en guerre, la mort ou la survie sont les deux seules options ; si l’un disparaît, un autre le remplace. Le M23 demeure une machine funèbre aux plans bien établis, exigeant du gouvernement congolais des esprits capables de contrer ses objectifs.
A lire aussi : Diplomatie : Affaire Vincent Karega, colère et frustration de Kagame contre Bruxelles https://www.afriwave.com/2024/03/27/diplomatie-affaire-vincent-karega-colere-et-frustration-de-kagame-contre-bruxelles/
Londres convoque son plus diplomate rwandais
Le ministère britannique des Affaires étrangères a quant à lui annoncé le même mardi 18 février 2025 avoir convoqué le Haut-commissaire rwandais, équivalent d’un ambassadeur, à la suite de l’avancée des troupes rwandaises et du groupe armé M23 dans l’Est de la RDC.
« Le Royaume-Uni condamne fermement les avancées des forces de défense rwandaises et du M23 qui constituent une violation inacceptable de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la République démocratique du Congo », peut-on lire dans un communiqué du Foreign Office, le ministère des Affaires du Royaume Uni. Ce pays a également appelé le Rwanda à « retirer immédiatement » ses troupes du Congo, de « cesser toutes les hostilités et à revenir au dialogue à travers des processus de paix sous supervision africaine ».
Dossier réalisé par Roger DIKU, Thaddée Luaba Wa Ba Mabungi et TSHIKUYI TUBABELA pour afriwave.com