RD Congo-Rwanda : Anatomie d’une politique expansionniste déguisée en préoccupation sécuritaire

À chaque jour qui passe, le Rwanda s’enfonce davantage dans une stratégie géopolitique incohérente et contradictoire. L’évolution de sa rhétorique concernant la République Démocratique du Congo révèle un système de justifications changeantes qui mérite une analyse approfondie.

D’abord, Kigali a catégoriquement nié toute présence militaire en territoire congolais. Puis, confronté aux évidences, le régime a progressivement modifié son discours, invoquant tour à tour la protection d’une prétendue minorité persécutée au Congo, puis la nécessité de traquer les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Ces dernières, aujourd’hui considérablement affaiblies et dispersées, ne constituent manifestement plus la menace existentielle dépeinte par Kigali.

Face à l’effritement de ces narratifs, le Rwanda adopte désormais une rhétorique révisionniste concernant les frontières héritées de la colonisation, une stratégie particulièrement inquiétante dans une région déjà fragilisée par des décennies de conflits.

Cette contradiction permanente – « j’y suis, je n’y suis pas » – évoque effectivement une forme de dissociation cognitive propre à Sigmund Freud puis Mélanie Klein, que l’on pourrait rapprocher du concept psychanalytique de clivage. Ce type de comportement permet au régime de Kigali de préserver une façade diplomatique tout en poursuivant ses objectifs réels. Il s’agit d’une forme institutionnalisée de dissociation où différents niveaux de discours coexistent sans s’annuler mutuellement dans la stratégie globale.

Le régime de Paul Kagame semble incapable de maintenir une cohérence narrative face à la communauté internationale, comme l’illustre parfaitement le limogeage révélateur de son ambassadeur aux Nations Unies, vraisemblablement incapable de perpétuer ces contradictions devant ses homologues.

L’intervention récente de la députée Alice Muzana au parlement rwandais illustre cette dérive révisionniste, avec des références manifestement erronées aux délimitations frontalières de 1910, instrumentalisant l’histoire coloniale pour servir des ambitions territoriales contemporaines.

L’incident particulièrement révélateur impliquant la présentation théâtralisée de supposés membres des FDLR « capturés » puis remis par le M23 –mouvement rebelle notoirement soutenu par Kigali– démontre l’artificialité de cette construction narrative. Cette mise en scène confirmant paradoxalement ce que le Rwanda nie obstinément : son contrôle effectif sur le M23 et par extension, sur des portions significatives du territoire congolais oriental, notamment autour de Goma.

Cette stratégie de désinformation systématique semble atteindre ses limites, confrontée à une documentation croissante des faits par les observateurs internationaux, les organisations humanitaires et les Nations Unies elles-mêmes, dont plusieurs rapports d’experts ont établi les liens directs entre Kigali et le M23.

Le Rwanda, qui a longtemps bénéficié d’un capital sympathie diplomatique considérable lié à son redressement post-génocide, voit aujourd’hui sa crédibilité internationale s’éroder progressivement face à cette politique expansionniste déguisée en préoccupations sécuritaires.

En observateur averti de la situation politique dans les Grands Lacs, le journaliste Congolais Joseph Emmanuel Bunduki Kabeya constate que« Le comportement des officiels rwandais ne peut plus surprendre. Il procède d’un modus operandi déjà appliqué au Rwanda lors des négociations entre le gouvernement Habyarimana et le FPR. Dire une chose et faire son contraire pour accuser l’autre. Le FPR et certains rwandais voulaient rentrer d’exil après plusieurs décennies de vie en Ouganda. Ils ont attaqué par les armes l’autorité en place. Motif évoqué, le refus de cette dernière d’autoriser leur retour ».

Et il fait remarquer « qu’il y a eu les négociations d’Arusha avec le pouvoir en place à Kigali. Le FPR s’était engagé à observer une trêve durant les négociations. Il a fait le contraire, il a attaqué sans relâche pendant ces négociations. La conséquence de cette pression militaire est connue de tous. L’assassinat de deux présidents, le rwandais Habyarimana et le burundais Ntaryamira. Tous deux revenaient d’Arusha après des négociations. Ce double assassinat a conduit à l’émergence des dénommés Interahamwe qui se sont vengés de manière violente et aveugle contre l’ethnie des assaillants et présumés auteurs du double homicide. La réponse du FPR a été tout aussi violente et l’a conduit à franchir sans autorisation les frontières de la RDC pour y poursuivre et y massacrer les Hutus assimilés globalement aux Interahamwe en fuite et qui sont entrés par millions en RDC à la demande de l’ONU ».

Pour Bunduki Kabeya, « La RDC elle-même se battait pour mettre un terme au règne de Mobutu qui, après 32 ans de dictature, n’avait pas réussi à apporter un bien-être socio-économique à la population. Kinshasa n’a eu ni le temps ni les moyens d’endiguer, de contrôler et de canaliser le flot de réfugiés rwandais qui se déversaient dans le Kivu comme un fleuve en crue. Le FPR a justifié son intervention en territoire congolais comme une mesure préventive contre les velléités belliqueuses des Hutus. Les tueries du FPR sont documentées. Mais ils ont toujours nié les avoir commis. Aujourd’hui, Kigali est aux abois, les sanctions tombent de partout à cause de son implication dans le soutien au M23 ; un soutien que Kigali bien évidemment nié comme à son habitude. Les tueries documentées de Goma perpétrées par le M23/RDF supplétifs du Rwanda ont été celles de trop ».

Le journaliste congolais conclut que « Les protecteurs du Rwanda face aux preuves apportées par la partie congolaise ne pouvaient plus se cacher derrière un sentiment de culpabilité lié à leur non intervention lors du génocide rwandais. Ils en ont été délivrés à cause de l’orgueil de Kagame. Ils se rachètent en sanctionnant leur protégé. De ce fait, Paul Kagame est devenu toxique et tant qu’il s’accrochera au pouvoir, il sera un frein à un potentiel investissement au Rwanda. D’autre part, par leur volonté affirmée de faire modifier les frontières héritées de la colonisation, les officiels rwandais communiquent leur désir de mettre à mal la charte de l’Union Africaine qui prône l’intangibilité des frontières. Ils s’appuient sur le précédent soudanais qui a vu la partition du pays en deux états. Soudan et Sud Soudan. Les parlementaires rwandais devraient aussi se référer à la conférence tenue en Belgique par le professeur Isidore Ndaywel qui a brillamment démontré que c’est la RDC qui a cédé des terres au Rwanda. Et si les rwandais veulent jouer à ce jeu de modification territoriale, ils risquent un jour de voir la taille de leur pays se réduire encore lorsque la RDC revendiquera à son tour ses terres perdues encore 1885 ».

FNK

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