Kampala est présent depuis des années à l’Ouest de ses frontières et joue sur le territoire de son voisin un jeu à multiples bandes. Discret dans le conflit qui secoue l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), l’Ouganda y est militairement présent depuis des années et joue sur le territoire de son voisin un jeu à multiples bandes, analysent pour l’Agence France-Presse (AFP) des experts qui pointent pour certains son « ambiguïté » envers Kinshasa.
L’armée ougandaise (UPDF) a lancé à la fin de 2021 l’opération « Shujaa » (« héros », en swahili) dans les provinces frontalières de l’Ituri et du Nord-Kivu pour combattre aux côtés des Congolais les Forces démocratiques alliées (ADF), des rebelles d’origine ougandaise responsables de massacres.
Juste au sud de ces territoires, le groupe armé M23 et ses alliés rwandais ont, eux, enregistré des gains considérables au début de 2025 face à l’armée congolaise, appuyée notamment par des soldats sud-africains et burundais. Le M23 a notamment pris Goma et Bukavu, capitales provinciales du Nord et du Sud-Kivu, des nœuds économiques et sécuritaires dans la région enclavée des Grands Lacs.
Parallèlement à ces déroutes congolaises, l’armée ougandaise renforçait plus au nord ses effectifs en RDC avec 10 000 hommes. Puis les déplaçait vers la capitale de l’Ituri, Bunia, soulevant des questions sur les intentions ultimes de Kampala, autrefois accusée d’avoir contribué à déstabiliser Kinshasa.
« Une question de sécurité »
« L’attitude de l’Ouganda reste ambiguë, note Kristof Titeca, expert de l’Afrique de l’Est à l’université belge d’Anvers. Il est difficile de savoir comment va évoluer son attitude, tant envers Kinshasa qu’envers Kigali et le M23. »
En RDC, le premier objectif de Kampala semble être d’assurer une zone tampon le long de sa frontière, pour se protéger à la fois des ADF et, à plus long terme, des risques politiques chez son voisin, avancent plusieurs experts.
« Il s’agit avant tout d’une question de sécurité », soutient Phillip Apuuli Kasaija, professeur de politique à l’université ougandaise de Makerere, ajoutant que maintenir « la paix (…) assure bien entendu un plus grand marché pour les produits ougandais ».
A la fin de janvier, le porte-parole de l’armée ougandaise, Félix Kulayigye, reconnaissait lui-même que l’Est congolais était « le marché pour l’Ouganda », pointant la nécessité d’y construire des infrastructures, des « artères du business ».
Sentiment d’être « marginalisé »
L’augmentation des partenariats entre Kinshasa et Kampala fut l’un des moteurs du soutien au M23 de Kigali, qui avait le sentiment d’être « marginalisé », ont rappelé en 2024 deux groupes de recherche liés à l’université de New York.
Comme le Rwanda, l’Ouganda commerce massivement avec l’Est congolais, d’où il importe notamment de l’or d’Ituri. « Ces trois dernières années, les exportations d’or de l’Ouganda sont montées en flèche », note M. Kasaija, avançant que le minerai congolais est « labellisé comme ougandais et réexporté ».
Tout près de la frontière, Kampala prépare également l’exploitation de ses importantes réserves pétrolières, avec le français TotalEnergies et le chinois Cnooc. Dès 2022, l’institut congolais Ebuteli citait le pétrole comme une possible « raison majeure » à l’opération « Shujaa ».
Au début de mars, l’armée ougandaise a, cette fois, déplacé des troupes vers Mahagi, ville située à quelque 50 kilomètres des puits de TotalEnergies, pour lutter contre une autre milice congolaise, la Coopérative pour le développement du Congo (abrégée en Codeco).
« Grand frère »
Pour le dirigeant ougandais, Yoweri Museveni, un ancien guérillero qui depuis cinquante ans assiste – ou participe – en fin tacticien aux multiples conflits régionaux, « Shujaa » coïncide avec plusieurs objectifs personnels, dont le positionnement de son pays en puissance régionale.
L’Ouganda est notamment intervenu dans les deux guerres du Congo (1996-1997, puis 1998-2003) et au Soudan du Sud. Le 11 mars, Kampala a annoncé un nouveau déploiement à Juba, en proie à de fortes tensions. « Historiquement, le président Museveni veut jouer le rôle du vieil homme d’Etat de la région », abonde M. Titeca. Le point le plus indéchiffrable reste le sentiment de cet ancien marxiste envers les rebelles du M23, majoritairement des Tutsis congolais disant lutter contre les persécutions.
« Il y a chez Museveni une vraie ambiguïté vis-à-vis du M23 », un groupe pour lequel il nourrit « une sympathie ethnique, celle du grand groupe Bahima [lié aux Tutsis et auquel il appartient], et pour les opprimés », relève un diplomate spécialiste des Grands Lacs.
Mais alors que le Rwanda soutient le M23, le vieux chef d’Etat entretient, lui, une relation « de grand frère », profondément orageuse, avec le président rwandais, Paul Kagame, note ce diplomate. Entre les deux, l’ascension de Muhoozi Kainerugaba n’a fait que renforcer le trouble, car le fils de Museveni, chef de l’armée et possible dauphin, affiche un soutien total à M. Kagame.
Des experts de l’ONU ont affirmé en 2024 que les renseignements ougandais avaient apporté un « soutien actif » au M23, alors même que l’opération « Shujaa » était active. Récemment, M. Museveni a pris soin de déclarer que l’engagement ougandais en RDC n’avait « rien à voir avec le M23 », techniquement hors de ses zones d’opération. Il rappelait aussi déplacer ses troupes avec « la permission du gouvernement du Congo ».
Mais dans un contexte délicat, la marge de consentement du président congolais, Félix Tshisekedi, semble limitée, notent les experts. « Tshisekedi n’est pas dupe, il sait que le “vieux” peut tout à fait jouer un double jeu », conclut le spécialiste des Grands Lacs.
Le Monde avec AFP
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