L’économie rwandaise, souvent citée comme un modèle de développement en Afrique, vacille sous le poids de tensions géopolitiques croissantes. Cette semaine, l’agence de notation Moody’s a abaissé les perspectives économiques du Rwanda de « stables » à « négatives », tout en maintenant sa note à B2, un niveau déjà fragile.
Ce signal d’alarme, loin d’être anodin, met en lumière les répercussions d’une politique extérieure controversée : l’implication du Rwanda dans le conflit qui ravage l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC).
Une Dépendance Économique Fragilisée par la Géopolitique
Selon Moody’s, cette révision à la baisse est directement liée aux « risques géopolitiques croissants » découlant de l’agression militaire du Rwanda dans l’Est de la RDC. Malgré les démentis répétés du régime de Kigali, les accusations de soutien au groupe terroriste M23, relayées notamment par plusieurs rapports des Nations Unies en 2024, ont érodé la confiance des partenaires internationaux.
« Les tensions avec la RDC ont atteint un point critique, et les conséquences économiques se font sentir », explique Jean-Paul M., économiste spécialisé dans la région des Grands Lacs. « Le Rwanda dépend fortement de l’aide extérieure, et tout signe de méfiance de la part des donateurs peut avoir un effet domino dévastateur ».
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les donateurs multilatéraux, tels que la Banque mondiale et le FMI, représentent 60 % des subventions (soit 0,6 % du PIB) et 85 % des prêts concessionnels du pays. Or, certains soutiens bilatéraux, comme celui du Royaume-Uni ou des États-Unis, ont déjà été suspendus en partie ces dernières années en raison des tensions régionales. Si cette tendance se confirme, le Rwanda pourrait perdre des financements cruciaux, alors que sa dette publique, qui s’élève à 77 % du PIB fin 2024, est à 82 % libellée en devises étrangères. Une baisse des entrées de dollars, conjuguée à une dépréciation potentielle du franc rwandais, pourrait précipiter une crise de liquidité.
Le Tourisme, un Pilier en Péril
L’autre victime collatérale de cette instabilité est le secteur touristique, qui contribue à hauteur de 5 % au PIB et constitue une source majeure de devises et d’emplois. Avec des attractions comme le parc national, proche de la frontière avec la RDC, le Rwanda a bâti une réputation de destination prisée pour le tourisme de luxe et l’observation des gorilles. Mais la proximité du conflit menace cette industrie. «
Si des pays émettent des avertissements aux voyageurs, comme cela s’est produit par le passé, les arrivées pourraient chuter de manière drastique », prévient Aline Uwimana, analyste chez Rwanda Development Board. Les données de 2023 montrent déjà une certaine frilosité : malgré une croissance de 8,2 % du PIB, le tourisme n’a pas encore retrouvé ses niveaux d’avant-pandémie, et tout revers supplémentaire pourrait être fatal.
Une Dette Publique Explosive
Avec une dette publique atteignant 77 % du PIB, le Rwanda marche sur une corde raide. « Le niveau d’endettement est préoccupant, surtout dans un contexte où 82 % de cette dette est en devises », note Marie-Claire Nsengiyumva, experte en finances publiques basée à Kigali. « Si les réserves de change diminuent, le coût du service de la dette deviendra insoutenable ». Les réserves actuelles, estimées à environ 4,1 mois d’importations fin 2023 selon le FMI, restent adéquates pour l’instant, mais elles pourraient fondre rapidement en cas de choc externe. L’inflation, bien qu’en baisse à 4,2 % en mars 2025 grâce à une politique monétaire rigoureuse, demeure une menace latente pour les ménages rwandais déjà fragilisés.
La Responsabilité du Régime Kagame en Question
Pour beaucoup, la racine du problème réside dans la politique extérieure du président Paul Kagame. En poste depuis plus de deux décennies, Kagame est souvent loué pour avoir transformé le Rwanda en un modèle de stabilité et de croissance économique. Mais son implication dans le conflit en RDC, dénoncée par Kinshasa et des observateurs internationaux, jette une ombre sur ces acquis. « La énième guerre d’agression du Rwanda contre la RDC est une aventure imprudente qui risque de faire imploser l’économie rwandaise », affirme un analyste congolais à l’Université de Liège. « Kagame détient la clé pour désamorcer cette crise, mais il doit agir vite ».
Sur les réseaux sociaux, les Rwandais expriment leurs inquiétudes. « Les hôtels sont vides, les prix grimpent, la vie devient plus dure », témoigne une habitante dans une vidéo relayée sur X. Si personne ne souhaite voir le pays sombrer dans la pauvreté et le chômage, les experts s’accordent à dire que la paix régionale est une condition sine qua non à la reprise économique.
Un Appel à la Désescalade
Malgré ce tableau sombre, il n’est pas trop tard pour inverser la tendance. Moody’s maintient sa note B2 en s’appuyant sur l’hypothèse que le conflit en RDC ne s’aggravera pas significativement et que les efforts diplomatiques, comme la récente rencontre entre Kagame et Félix Tshisekedi au Qatar du 18 mars 2025, porteront leurs fruits. « Une désescalade des tensions pourrait ramener la confiance des investisseurs et des donateurs », estime Mvogo. À long terme, des réformes fiscales visant à réduire la dépendance aux financements extérieurs pourraient également stabiliser l’économie.
Le Rwanda se trouve à un carrefour. Entre ambitions régionales et impératifs économiques, Paul Kagame devra choisir : persévérer dans une stratégie risquée ou privilégier la paix et la prospérité de son peuple. L’avenir du « miracle rwandais » en dépend.
@FNK avec afriwave.com