Goma, Nord-Kivu, RDC. Autrefois un joyau économique vibrant au cœur de la riche province du Nord-Kivu, Goma ; la capitale provinciale, est aujourd’hui méconnaissable. Depuis sa chute aux mains du mouvement rebelle du 23 Mars (M23), appuyé par les Forces spéciales de la Rwanda Defence Force (RDF), fin janvier 2025, la ville est devenue une prison à ciel ouvert où la population vit dans la peur, la résignation et l’incertitude.
Après des jours de combats acharnés contre les Forces armées de la RDC (FARDC), le M23 a consolidé son emprise, transformant Goma en un théâtre d’humiliation, de désespoir et de violations des droits humains.
La chute de Goma : une victoire du M23 et de la RDF
Le 30 janvier 2025, après une offensive éclaire marquée par des bombardements intenses et des assauts coordonnés, le M23, soutenu par des unités d’élite des Forces spéciales rwandaises, a pris le contrôle de Goma. Selon un rapport interne de la Monusco consulté par l’AFP, les rebelles, renforcés par au moins 1 000 soldats rwandais, avaient débordé les FARDC, déjà affaiblies par des problèmes de coordination et un moral en berne.
La ville, qui abrite plus d’un million d’habitants, est tombée malgré la présence de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO), de la Mission de la Communauté de Développement de l’Afrique australe (SAMIDRC), et de divers groupes armés alliés aux FARDC, tels que les Wazalendo.
Jean-Pierre Lacroix, chef des opérations de paix de l’ONU, avait décrit cette avancée comme « rapide et préoccupante » lors d’une conférence de presse le 31 janvier 2025 à New-York, soulignant que le M23 se trouvait désormais à seulement 60 kilomètres de Bukavu, dans la province voisine du Sud-Kivu. Des preuves accablantes, corroborées par des rapports d’experts de l’ONU datant de décembre 2023, confirmaient que les RDF ne se contentent pas seulement de soutenir logistiquement le M23 : elles combattent directement aux côtés des rebelles, déployant des unités spécialisées dans les territoires de Nyiragongo, Rutshuru et Masisi.
Une population prise au piège
À Goma, la vie est devenue un calvaire quotidien. « Nous sommes pris au piège », déclarait Bintou Keita, Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU en RDC, lors d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité le 26 janvier 2025, juste avant la chute de la ville. « Les routes sont bloquées, l’aéroport ne peut plus être utilisé. Le M23 a déclaré l’espace aérien de Goma fermé », ajoutait-elle, alertant ainsi sur une situation humanitaire « catastrophique ».
Les habitants, privés de liberté, subissent une administration parallèle imposée par l’Alliance Fleuve Congo (AFC), dont le M23 est le fer de lance. Selon Mme Keita, lors de son intervention au Conseil de sécurité le 27 mars 2025 courant, « le M23 contrôle toutes les routes entrant ou sortant des zones sous sa domination », asphyxiant ainsi l’approvisionnement en vivres et en médicaments. Pélagie, une mère de cinq enfants rencontrée par Le Point le 28 janvier 2025, témoigne : « Vendredi, les tirs d’obus et d’artillerie tombaient comme de la pluie. J’ai fui avec mes valises, mais où aller ? Nous sommes prisonniers ici ».
Les violences ne s’arrêtent pas là. Le 27 janvier, une évasion massive de la prison de Munzenze a libéré plus de 4 000 détenus, dont 165 femmes victimes de viols, selon les autorités judiciaires citées par le Haut-Commissaire aux Droits de l’Homme, Volker Türk, lors d’une session extraordinaire du Conseil des Droits de l’Homme le 7 février 2025 à Genève. « Les civils sont pris dans une spirale de violence écrasante », déplorait-il déploré, pointant du doigt les exactions du M23 et de ses alliés rwandais.
La MONUSCO désarmée de force, une humiliation de plus
La Monusco, présente en RDC depuis plus de 25 ans, a été réduite à l’impuissance. Désarmés par le M23 dans les zones sous son contrôle, les Casques bleus ne peuvent plus circuler librement avec leurs armes. Leurs rares véhicules, effectuant des navettes entre Goma, Rutshuru et Masisi, sont dépouillés de toute capacité offensive –une humiliation sans précédent pour une mission censée protéger les civils-. « Les infrastructures essentielles de la Monusco à Goma sont sous haute pression », a expliqué Bintou Keita le 20 février 2025, précisant que des milliers de déplacés s’y réfugient, aggravant encore davantage une crise sanitaire déjà explosive avec des risques de choléra et de Mpox.
Cette neutralisation de la Monusco a suscité l’indignation. « C’est une honte pour la communauté internationale », a lancé un jeune leader de Goma lors d’une session consultative organisée par la Monusco le 27 mai 2022, propos rapportés dans un communiqué officiel. Pourtant, malgré ces alertes répétées, le Conseil de Sécurité semble paralysé, incapable de répondre à l’urgence.
Les prisonniers de luxe de la SAMIDRC
Paradoxalement, certains captifs du M23 vivent dans des conditions bien différentes. Les officiers de la SAMIDRC, faits prisonniers lors des combats, ont signé des accords avec les rebelles pour faciliter leur rapatriement vers leurs pays d’origine ; Afrique du Sud, Tanzanie et Malawi. Un banquet fastueux aurait même conclu ces négociations, selon des sources locales. « Leur attitude est compréhensible », explique un expert en sécurité des Grands Lacs sous couvert d’anonymat. « Ces officiers, bien que prisonniers, doivent garantir le retour sain et sauf de leurs troupes. Mais cela ne change rien à leur statut : ils sont sous le joug du M23 ».

Les termes de cet accord signé par Sultani Makenga pour l’AFC/M23 et la SADC :
- L’AFC/M23 facilite le retrait immédiat des troupes du SAMIRC avec leurs armes et équipements, en laissant derrière elles toutes les armes et équipements des FARDC en leur possession.
- L’AFC/M23 doit coordonner la liberté de mouvement du SAMIRC en préparation du retrait conformément aux principes convenus.
- Les deux parties faciliteront l’évaluation par l’équipe technique conjointe de l’état de l’aéroport international de Goma en vue de sa réouverture.
- La SADC contribuera à la réparation de l’aéroport international de Goma afin de faciliter le retrait de la SAMIDRC.
- Tenir une réunion de suivi conjointe entre la SADC et l’AFC/M23 en un lieu et une date à déterminer.
- La tenue d’une réunion conjointe de suivi entre la SADC et l’AFC/M23 dans un lieu et à des dates à convenir.
Les Droits Humains ignorés
Les experts des Droits de l’Homme, censés documenter ces abus, se heurtent à un mur. Une délégation du Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme, prévue pour février 2025, n’a pas été autorisée à entrer à Goma par le M23, selon un communiqué de l’ONU/Genève daté du 7 février. Surya Deva, Président du Comité de Coordination des Procédures Spéciales, a dénoncé « une violence d’une ampleur sans précédent », incluant des recrutements forcés d’enfants et des violences sexuelles systématiques, dans un rapport présenté le même jour.
Sur le terrain, les témoignages affluent. Le mouvement citoyen LUCHA a rapporté sur X le 16 mars 2025 les propos d’un mécanicien de Goma : « Vous êtes venus calmement dans notre ville, mais c’est nous que vous insécurisez… Arrêtez de nous enrôler dans vos bêtises. Je ne sais pas manier une arme ». Ces recrutements forcés, orchestrés par le M23 et la RDF, exacerbent la terreur.
Un avenir sombre
Si la situation est déjà intenable, le pire est à craindre. Bintou Keita a averti le 27 mars 2025 que l’AFC/M23, avec le soutien des RDF, vise désormais les provinces de la Tshopo et du Maniema, au risque d’une escalade régionale. « Un cessez-le-feu inconditionnel est essentiel », a-t-elle plaidé, appelant le Conseil de Sécurité à agir.
Mais pour l’heure, Goma reste une ville sous occupation, où la population, résignée ; cohabite avec son bourreau dans une prison sans barreaux physiques, mais aux murs de peur et de désespoir infranchissables.
@FNK pour afriwave.com