Par rene.mugenzi, Auteur, Expert en Innovation Sociale et Droits de l’Homme
Cet article explore le déclin de l’économie rwandaise, fragilisée par le soutien au M23 en RDC, qui a entraîné sanctions, déficit, dette et dépréciation monétaire. Malgré une image moderne, l’économie reste dépendante de l’aide étrangère, dominée par une élite et marquée par l’informalité. Le modèle actuel semble insoutenable.
Au cours des deux dernières décennies, le Rwanda a été salué dans certains cercles comme une réussite économique africaine, souvent qualifiée de « miracle économique ». Des diplomates occidentaux, des donateurs internationaux et certains médias ont loué le président Paul Kagame pour avoir réalisé une croissance économique rapide tout en maintenant une gouvernance stricte. Cependant, une analyse plus approfondie et nuancée révèle un schéma inquiétant une croissance économique non seulement insoutenable, mais également soutenue par l’aide étrangère, le clientélisme des élites et l’exploitation illicite des ressources naturelles en République démocratique du Congo (RDC).
Des événements récents et des évaluations d’institutions financières internationales exposent la fragilité et la nature de plus en plus insoutenable de l’économie rwandaise. Le 4 octobre 2024, l’agence Fitch Ratings a confirmé la note de crédit du Rwanda à ‘B+’, invoquant un faible PIB par habitant, des déficits jumeaux persistants (budgétaire et du compte courant), et une dette publique et extérieure croissante. Elle a indiqué que le ratio dette/PIB du Rwanda devrait passer de 73,5 % en 2023 à un impressionnant 78,2 % en 2025. Moins de cinq mois plus tard, le 26 mars 2025, Moody’s a révisé les perspectives économiques du Rwanda de « stable » à « négative », citant le conflit en cours dans l’est de la RDC et les risques croissants de retrait du soutien financier extérieur et de forte baisse des revenus touristiques.
Cette tendance à la baisse est largement attribuée à l’implication agressive du Rwanda en RDC, où il a soutenu les rebelles du M23, entraînant des sanctions de la part de partenaires majeurs, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Union européenne. Ces mesures punitives commencent à affecter les flux d’aide étrangère vers le Rwanda et la confiance des investisseurs, révélant les dangers d’une politique étrangère motivée par le pillage des ressources plutôt que par une diplomatie durable. Début 2025, le Royaume-Uni a annoncé une suspension partielle de son aide bilatérale au Rwanda. L’Allemagne a emboîté le pas en mars 2025 en suspendant toute nouvelle aide financière. Le 17 mars 2025, l’Union européenne a imposé des sanctions à des commandants de l’armée rwandaise, à des hauts responsables du M23 et au directeur de l’agence minière rwandaise, les accusant de participation à l’extraction illégale de ressources dans l’est de la RDC. En réponse, le Rwanda a annoncé la rupture de ses relations diplomatiques avec la Belgique, l’accusant de saper continuellement la position de Kigali.
Il y a près de dix ans, j’avertissais dans un article intitulé « Le soi-disant miracle économique rwandais est une illusion » que le prétendu succès du Rwanda reposait sur des fondations fragiles. Le rapport de mise à jour économique de la Banque mondiale de 2014 avait déjà confirmé que le Rwanda avait « échoué à stimuler une transformation significative de son économie », qui restait trop dépendante d’un secteur public hypertrophié et dominée par des services non échangeables financés par l’aide. Aujourd’hui, peu de choses ont changé.
Dépendance à l’aide et spirale de la dette
En 2022, le Rwanda a reçu plus de 1,07 milliard de dollars d’aide publique au développement, contre 1,33 milliard en 2021. Bien que cette baisse puisse sembler positive, elle dissimule en réalité le remplacement des subventions par des prêts concessionnels et commerciaux. Selon le FMI, entre février et décembre 2025, le Rwanda devrait rembourser environ 42 millions de dollars de service de la dette. La majorité de ces remboursements sont liés au Fonds pour la résilience et la durabilité (RST) et au Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et la croissance (PRGT).
La dette explose. Fitch prévoit que la dette publique atteindra 78,2 % du PIB d’ici 2025. Et avec la dépréciation accélérée du franc rwandais (RWF), le service de la dette devient encore plus coûteux. De 2015 à 2025, le RWF a perdu environ 100 % de sa valeur par rapport au dollar américain, passant de 708 à 1 430 RWF par dollar. Cette tendance s’est aggravée depuis 2022, alourdissant les passifs extérieurs du Rwanda et accentuant les pressions inflationnistes dans une économie dépendante des importations.
Secteur privé affaibli
Le mythe du « lion économique » de Kagame est particulièrement mis en évidence par le sous-développement du secteur privé :
Un rapport de 2019 a révélé que seulement 0,4 % des contribuables étaient responsables de 91,4 % des recettes fiscales totales du Rwanda, soulignant une forte dépendance à un très petit nombre de grands contribuables. Cette concentration soulève des inquiétudes quant à la vulnérabilité de la base fiscale et aux risques budgétaires si l’un de ces acteurs majeurs rencontrait des difficultés financières ou quittait le marché.
L’environnement commercial au Rwanda reste fortement orienté vers les petites et moyennes entreprises (PME), bien que les chiffres précis mis à jour soient limités. L’Office rwandais des recettes (RRA) a reconnu l’importance des PME et continue de mettre en œuvre des politiques pour favoriser leur développement et améliorer leur conformité fiscale, reconnaissant leur rôle essentiel dans la dynamisation de l’activité économique et la création d’emplois.
L’enquête sur la population active de 2023 a montré que la population en âge de travailler du Rwanda avait atteint 8,1 millions de personnes, dont 4,3 millions en emploi. Cependant, environ 3,6 millions de ces emplois, soit 90,3 %, se trouvent dans le secteur informel. Cela signifie que seulement 9,7 % de la main-d’œuvre est employée formellement, soulignant le défi structurel du Rwanda à formaliser son marché du travail et à garantir des emplois plus sûrs et réglementés.
L’économie reste ancrée dans l’agriculture de subsistance et l’emploi informel urbain, révélant un sous-emploi systémique et des inégalités persistantes.
Capitalisme de copinage et capture de l’État
Un aspect clé de la structure économique rwandaise est la domination écrasante de Crystal Ventures Ltd (CVL), le conglomérat commercial du parti au pouvoir. CVL monopolise des secteurs clés tels que l’agroalimentaire, la construction, l’immobilier et les télécommunications. Il bénéficie d’un accès privilégié aux marchés publics et aux fonds de sécurité sociale, transformant l’économie rwandaise en un système de rente au profit d’un cercle restreint d’élites.
Illusions d’infrastructure
Les défis infrastructurels du Rwanda révèlent davantage les fissures du modèle économique. En 2022, la consommation moyenne d’électricité par habitant en Afrique était d’environ 92 kilowattheures (kWh), selon les données de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Cela représente une augmentation de 3 % depuis 2000, mais reste nettement inférieur à la moyenne mondiale, estimée à environ 3 600 kWh par personne la même année.
Pour une perspective régionale, la Banque africaine de développement indique que la consommation moyenne d’énergie par habitant en Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) est d’environ 180 kWh, soulignant des disparités importantes au sein du continent.African Development Bank Group
À titre de comparaison, la consommation d’électricité par habitant au Rwanda en 2022 était d’environ 64,9 kWh, ce qui est légèrement inférieur à la moyenne africaine. Cette stagnation contredit l’image d’un Rwanda moderne et technologique promue à l’international.
Congo : un pari trop risqué
L’implication illicite du Rwanda dans l’est du Congo, visant à piller les ressources minières pour soutenir son économie chancelante, se retourne désormais contre lui. Au lieu de constituer un filet de sécurité, cette stratégie a entraîné la condamnation internationale, des sanctions, et un risque de gel de l’aide et des investissements étrangers. Le coût de l’engagement militaire, combiné aux retombées économiques des sanctions, aggrave encore la situation budgétaire déjà critique du Rwanda. En outre, le Rwanda risque une isolation diplomatique accrue et pourrait faire face à des crises financières plus profondes à mesure que les donateurs questionnent l’efficacité et l’éthique de leur soutien.
La fin de l’illusion
Le modèle économique du Rwanda fondé sur l’aide étrangère, une gouvernance opaque, la recherche de rente par l’élite et la déstabilisation régionale n’est plus viable. Le récit du « lion économique africain » s’effondre. L’illusion devient de plus en plus difficile à entretenir à mesure que la dette s’alourdit, que la monnaie se déprécie, que l’aide diminue et que la confiance des investisseurs s’effrite.
Ce qui s’annonce, c’est une économie au bord de l’effondrement. Sans réforme radicale vers plus de transparence, un véritable développement du secteur privé, une politique étrangère axée sur la paix et des réformes des droits humains, le Rwanda se dirige vers une instabilité et des souffrances accrues.
La communauté internationale doit également repenser son rôle : soutenir des régimes autoritaires avec des aides et des éloges ne constitue pas un développement durable. Plus vite cette illusion sera abandonnée, plus vite un progrès réel et inclusif pourra commencer.
Lien vers l’article : https://blogs.mediapart.fr/renemugenzi/blog/150425/effondrement-economique-du-rwanda-le-prix-eleve-du-pillage-du-congo
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