Par :Éric Senanque
Le pape François est décédé lundi 21 avril à l’âge de 88 ans. Son pontificat aura été celui d’un dialogue de l’Église avec le monde, avec une attention particulière pour les plus vulnérables. Imprimant un style nouveau et lançant de nombreuses réformes à l’intérieur de l’Église comme dans la Curie, il restera comme un pape très populaire, surtout peut-être encore chez les non chrétiens.
Quand le nom de Jorge Mario Bergoglio résonne place Saint-Pierre le 13 mars 2013, quelques minutes après que la fumée blanche est apparue du toit de la chapelle Sixtine, beaucoup de fidèles se sont regardés, incrédules. Qui est donc le nouveau souverain pontife, le 266ème de l’histoire de l’Église catholique romaine ?
La figure de celui qui était jusqu’ici archevêque de Buenos Aires est alors peu connue des Romains. Comme tous les prélats de son rang, il vient régulièrement dans la Ville éternelle, lors de visites ad limina (les visites d’évêques auprès du pape, organisées tous les cinq ans), mais ce sont surtout les visages de la Curie qui sont les plus familiers.
Protection de la nature, de la création
Le 19 mars 2013, six jours après son élection sur le siège pontifical, le nouveau pape qui a pris le nom de François, en hommage au Saint d’Assise, prononce sa première homélie lors de la messe d’intronisation, devant une place Saint-Pierre noire de monde. Il évoque déjà ce qui va devenir un des marqueurs de son pontificat : la protection de la nature, de la création. Le nouveau pape argentin appelle « à prendre soin », utilisant le terme « garder » pas moins de 16 fois dans cette première homélie. Cette intuition va être constamment une ligne directrice de son pontificat.
Elle va s’incarner dans un texte qui va faire le tour du monde : son encyclique écologique Laudato Si, publiée en juin 2015, quelques mois avant la COP21 organisée à Paris. C’est le premier texte pontifical qui aborde explicitement et en détail la protection « de la maison commune ». Le texte dépasse largement les frontières de l’Église catholique, il est salué dans le monde entier, devient une référence chez les écologistes et les partisans de la décroissance. Ce souci chez le pape François est celui d’une « écologie intégrale » où dignité de l’homme et de son environnement sont intrinsèquement liés. Il se retrouvera lors du synode sur l’Amazonie organisé au Vatican en octobre 2019.
Un nouveau langage dans l’Église
Le pape François est aussi celui qui apporte un nouveau langage dans l’Église, qui a désarçonné plus d’un fidèle ou d’un observateur. L’ancien gamin du quartier de Flores à Buenos Aires a toujours eu une parole libre ; devenu pape, il est souvent désarmant. Ce pape parle sur un ton nouveau, à l’intérieur de l’Église comme aux non-croyants.
Lors de l’Angélus dominical, François n’hésite pas à raconter des anecdotes aux fidèles pour faire passer un message, puisant dans la culture populaire italienne (il parle très souvent des « nonni », les grands-parents). Durant ses homélies, il sort régulièrement de son texte, donnant des sueurs froides aux journalistes ou aux traducteurs.
Il n’hésite pas non plus à sermonner voire à rabrouer, fustigeant à de multiples reprises le cléricalisme dans son Église. François dénonce « les évêques d’aéroports » pour mieux les inviter à être plus proches de leurs ouailles. Les prêtres aussi, à commencer par le clergé de Rome, ne cachent pas leur étonnement parfois de se voir mettre en garde contre le « narcissisme » ou la mondanité.
Un pape qui « casse les codes »
François est comme ça, il prend le risque d’être impopulaire, y compris dans les rangs de l’Église. Les plus grandes résistances vont venir de l’intérieur du Vatican. Le 22 décembre 2014, à l’occasion de ses vœux à la Curie, François liste « 15 maladies » qui guettent ses premiers collaborateurs : vanité, bavardages, indifférences envers les autres… Le tableau est une charge violente. Jamais un pontife ne s’est exprimé de la sorte.
Ce pape qui « casse les codes » va lui attirer des inimitées profondes dans la Curie. Figure de proue de ces opposants, le cardinal américain Raymond Leo Burke. Cet ultraconservateur se fait entendre surtout lors du premier synode sur la famille que François organise au Vatican en octobre 2014. L’ancien archevêque de Saint-Louis est vent debout contre la possibilité de donner la communion aux divorcés remariés et entraîne à sa suite plusieurs cardinaux. Burke se dit prêt à « résister ».
Une parole non domestiquée
François sera surtout resté un pape jésuite, dont la pensée est toujours en mouvement. Un pape paradoxalement plus populaire à l’extérieur de l’Église qu’à l’intérieur. Cette parole non domestiquée fait aussi des vagues. À plusieurs reprises durant son pontificat, François surprend ses interlocuteurs, lors des conférences de presse dans l’avion qui le ramène d’un voyage apostolique. Fin juillet 2013, de retour de son premier voyage apostolique à Rio de Janeiro où il a présidé les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ), le souverain pontife est invité à s’exprimer sur les homosexuels et plus précisément sur un éventuel « lobby gay » au cœur du Vatican. « Si une personne est gay et cherche le Seigneur, fait preuve de bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? », lance-t-il, donnant d’emblée l’image d’un pape « gay-friendly », en rupture avec ses prédécesseurs.
À de multiples reprises, le langage de François fera le tour de la planète, de façon polémique parfois. En 2018 lors d’une audience place Saint-Pierre, il compare les médecins qui pratiquent l’avortement à des « tueurs à gage ». Une expression qui scandalise et qu’il répètera en septembre 2024 de retour d’un voyage en Belgique. Par deux fois également François se plaindra qu’il y ait « une atmosphère de tapettes » dans certains séminaires. Face au concert de protestations, le Vatican publiera un communiqué dans lequel on explique que « le pape François n’a jamais eu l’intention d’offenser quiconque ou d’employer des termes homophobes ».
Autre prise de parole qui fait le tour du monde : en janvier 2018. François rentre alors d’un difficile voyage au Chili, où l’Église est décimée par les scandales de pédophilie. Interrogé sur un évêque accusé d’avoir couvert un prêtre prédateur sexuel, le pape s’irrite et « demande des preuves » aux victimes. Une réaction qui scandalise. Quelques semaines plus tard, le pape reconnaît de « graves erreurs » dans la gestion de la crise des abus sexuels au Chili et demande pardon.
Crise des abus sexuels
Comme lors de fin du pontificat de Benoît XVI, le drame des crimes sexuels commis par des hommes d’Église aura accompagné de manière douloureuse le pontificat de Jorge Mario Bergoglio. Le pape François va prolonger le combat de son prédécesseur qui, le premier, aura souhaité s’attaquer avec détermination à ce fléau. En mars 2014, il crée la Commission pontificale de protection des mineurs et place à sa tête l’un de ses proches, le cardinal américain Sean O’Malley, archevêque de Boston, un diocèse qui a vécu de plein fouet la crise pédophile. L’objectif est de mieux sensibiliser les responsables de l’Église aux abus sexuels, en écoutant aussi le témoignage des victimes.
La question de l’efficacité réelle de cette commission reste posée en raison de plusieurs départs de ses membres et de son rattachement, en 2022 au dicastère pour la Doctrine de la Foi, seule habilité à juger en interne les crimes sexuels les plus graves. En février 2019, François convoque les chefs des conférences épiscopales du monde entier pour un sommet centré sur ces abus sexuels. Si une prise de conscience a lieu au plus haut niveau de la hiérarchie, les résultats concrets tardent à apparaître.
La « mondialisation de l’indifférence »
Le pontificat du pape François est aussi inévitablement marqué par ses voyages. Le premier est certainement l’un des plus significatifs. Le 8 juillet 2013, il se rend sur la petite île italienne de Lampedusa, au large des côtes libyennes. Il dénonce la « mondialisation de l’indifférence » devant la mort de milliers de personnes en Méditerranée. L’accueil des migrants est la marque de la charité chrétienne, ne cesse-t-il de marteler au cours de ses déplacements. En déplacement à Marseille en septembre 2023, François se recueille devant le mémorial des disparus en mer, aux pieds de Notre-Dame de la Garde. La Mare Nostrum est devenue « un immense cimetière où de nombreux frères et sœurs se trouvent même privés du droit à une tombe, et où seule est ensevelie la dignité humaine », s’indigne-t-il.
Fin 2015, François pose le pied à Bangui, livrée à la violence des milices. Il brave les risques sécuritaires pour y lancer « l’année jubilaire de la miséricorde ». Comme ses prédécesseurs, le pape se veut réconciliateur, mais recherche ces « périphéries » : les plus pauvres et les oubliés. Un mot qui reviendra régulièrement dans sa bouche et qui montre sa volonté de décentrer le regard de l’Église sur le monde. Ces périphéries se manifesteront dans le choix de ses voyages apostoliques, au chevet de communautés chrétiennes parfois minuscules et isolées, comme en Mongolie ou en Papouasie-Nouvelle Guinée.
Guerre en Ukraine et administration Trump
La guerre qui fait rage entre l’Ukraine et la Russie depuis le 24 février 2022 inquiète aussi le souverain pontife. Notamment sur la liberté de culte en Ukraine après la promulgation, par Kiev, de l’interdiction de l’Église orthodoxe ukrainienne, affiliée au patriarcat de Moscou, en août 2024. Quelques mois plus tôt, son appel à avoir « le courage de hisser le drapeau blanc et de négocier » avec Moscou, était mal passé auprès de Kiev et avait suscité l’incompréhension auprès de la communauté internationale.
Aux États-Unis, alors que le président Donald Trump a entamé son second mandat en janvier 2025, le pape François a multiplié les appels : plaidoyer pour les réfugiés, les migrants… Très attentif à la question migratoire, il a sévèrement critiqué les expulsions ordonnées par la nouvelle administration américaine, s’attirant les foudres de la Maison Blanche.
Des réformes amorcées dans l’Église
François restera un pape réformateur ayant accéléré des processus de changement à l’intérieur de l’Église. Dès la première année de son pontificat, l’évêque de Rome crée un « conseil des cardinaux », venus des cinq continents, chargé de l’épauler dans la rédaction de la nouvelle Constitution apostolique, le « règlement interne » de la Curie. Celle-ci sera publiée en 2022 et renforce le lien entre le Vatican et les Églises locales.
L’un des grands chantiers de réforme lancé par le pape argentin restera le synode, assemblée d’évêques et d’experts du monde entier, une structure créée en 1965 par Paul VI dans l’esprit du Concile Vatican II. À plusieurs reprises, François convoque à Rome ces grandes assemblées chargées d’aborder des thématiques sur lesquelles l’Église a son mot à dire : évangélisation, place des laïcs et des femmes dans l’institution… Pour le pape, il s’agit d’insuffler une nouvelle culture dans l’Église, plus en phase avec les attentes des fidèles et où chaque Église locale porte sa voix. Des assemblées qui laisseront un goût d’inachevé sur certains thèmes comme celui de la place des femmes, François fermant la porte au diaconat féminin.
Une santé fragile
Les dernières années du pontificat ont aussi été marquées par des problèmes récurrents de santé chez le souverain pontife. En juillet 2021, François subit une lourde opération au côlon qui le fait passer dix jours à l’hôpital. Souffrant d’arthrose au genou, il se déplace le plus souvent en fauteuil roulant depuis le mois de mai 2022. En mars 2023, il est de nouveau hospitalisé à l’hôpital Gemelli de Rome, surnommé « l’hôpital des papes », où Jean-Paul II avait fait plusieurs séjours. Une bronchite infectieuse l’oblige à passer plusieurs jours dans l’établissement. « Je suis toujours vivant », plaisantera-t-il devant des journalistes à sa sortie.
Un établissement qu’il retrouve en juin de la même année pour une opération intestinale qui le contraint à dix jours de convalescence. Puis de nouveau en février 2025 où il est hospitalisé pendant 38 jours en raison d’une double infection des bronches. Le pontife argentin est apparu pour la dernière fois ce dimanche 20 avril à l’occasion des célébrations de Pâques. Bien qu’affaibli, il s’était offert un bain de foule en papamobile au milieu de milliers de fidèles sur la place Saint-Pierre. Visiblement très éprouvé, il avait toutefois été contraint de déléguer la lecture de son texte à un collaborateur, ne pouvant prononcer que quelques mots, la voix essoufflée, souhaitant « bonnes Pâques » aux fidèles.
Le pape argentin n’avait pas exclu de renoncer à sa charge comme l’avait fait son prédécesseur Benoit XVI en 2013. En décembre 2022, dans une interview à un quotidien espagnol, il avait pour la première fois admis avoir signé sa lettre de renonciation dès la première année de son pontificat « en cas d’empêchement pour raisons de santé ».
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Lien vers l’article : https://www.rfi.fr/fr/europe/20250421-le-pape-francois-un-batisseur-de-ponts-et-de-reformes