L’histoire, cet éternel recommencement. La fin du deuxième et dernier mandat constitutionnel de Joseph Kabila ressemble à s’y méprendre à la fin du règne du régime du Marechal Mobutu qui avait fini par s’écrouler en 1997 face aux boutoirs des petits hommes en bottes de caoutchouc venus du Rwanda voisin au sein de l’AFDL. Bien avant cela, il eut d’abord des Consultations populaires initiées par Mobutu en personne afin de prendre le pool de la population sur ce qu’avait été son régime trois décennies auparavant, et ensuite la Conférence Nationale Souveraine (CNS). Les années de fin mandat de Joseph Kabila sont les mêmes : Concertations nationales aux résolutions non appliquées, Dialogue politique national à l’inclusivité contesté…
L’histoire de la CNS quant à elle partait d’un constat : le Peuple ne communiait plus avec le système politique monopartite en vigueur dans le pays car il ne s’y reconnaissait plus. Ne s’identifiant plus à lui, il refusait de continuer à lui apporter son adhésion. Prudent, Mobutu lui-même n’avait pas manqué de flairer la grogne qui montait déjà des profondeurs abyssales de son vaste pays, intuition de fauve sans doute. Il n’était pas «grand léopard» pour rien !
Ainsi, les «Consultations Populaires» organisées en 1990 du 27 janvier au 27 mars à travers le pays répondaient certes à des pressions internationales suscitées par la Perestroïka soviétique, mais surtout par les pressions intérieures du Peuple congolais. Ce dernier exprimait ses sentiments sur le régime de la Deuxième République en dénonçant le dysfonctionnement et même l’absence de l’État, caractérisés par l’incapacité des dirigeants à gérer la chose publique, à protéger l’individu et la communauté; l’incapacité à recréer la confiance entre les gouvernants et les gouvernés.
Quelle que soit la considération du contenu de quelques 6.518 mémorandums reçus jadis à la présidence de la République par son coordonnateur Edouard Mokolo Wa Mpombo, aucune surprise n’était possible car les résultats devaient inévitablement aboutir à des réformes profondes sur tous les plans. Le ras-le-bol de la population était très perceptible et la vie devenait de plus en plus intenable. Les Citoyens avaient dénoncé les pratiques du MPR parti-État, véritables antivaleurs, notamment aux yeux de la morale publique. Le peuple avait besoin d’un profond changement dans les méthodes de gouvernance.
De l’Union Sacrée de l’opposition de l’époque
Naissance d’une opposition structurée, c’est ce à quoi avaient pensé les initiateurs face à une telle dérive du processus de démocratisation et dans le but de déjouer toutes les manœuvres des partis politiques satellites du MPR regroupés au sein d’un groupe dénommé Groupe du consensus avec le pouvoir. Les trois grandes formations de l’opposition de l’époque, l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), le Parti Démocrate et Social-Chrétien (PDSC) et l’Union des Fédéralistes et des Républicains Indépendants (UFERI) vont lancer le 05 juillet 1991 un appel pathétique pour une Union Sacrée des Forces du changement.
A l’issue de trois jours d’un congrès mouvementé tenu en la Salle du Zoo de Kinshasa, naissait le 18 juillet 1991 un front dénommé Union Sacrée de l’Opposition radicale. Cet ensemble regroupait des partis politiques, des associations civiles et de défense de Droits de l’Homme, des mouvements estudiantins, des organisations socioprofessionnelles des agents et fonctionnaires de l’État ainsi que toutes les autres organisations sociales acquises au changement. Cette association temporaire et hétéroclite qui se disait déterminée à agir en tant que plate-forme des forces acquises au changement avait pour but de programmer et de réaliser des actions communes susceptibles d’arracher à Mobutu la convocation ainsi que la tenue d’une CNS aux décisions impératives, exécutoires et opposables à tous. Elle confirmait par la même occasion sa volonté d’obtenir le changement et d’accéder au pouvoir par la voie démocratique.
Ainsi d’’un côté, on trouvait l’Union sacrée de l’opposition radicale (USOR) regroupant les partis politiques, Associations de la Société civile acquises au changement et de l’autre les Forces Démocratiques Unies (FDU) comprenant l’ensemble de la Mouvance présidentielle proche de Mobutu. La bipolarisation de la vie politique était consommée. Il est clair que dans ces conditions, l’État n’en sortait pas indemne. Cette situation confuse dans laquelle le pays avait été délibérément placé et où il patauge encore aujourd’hui reste tributaire de plusieurs facteurs tant extérieurs qu’intérieurs : atermoiements, blocages en tous genres, violences politiques, les deux guerres de l’Est qui, avec l’aide des troupes étrangères, ont propulsé au-devant de la scène quelques groupes rebelles qui avaient pour détermination de prendre le pouvoir ou de finalement consacrer la partition du pays.
Soufflant le chaud et le froid, Mobutu, bien que très fortement diminué physiquement par la maladie et politiquement par l’abandon de ses «amis occidentaux», avait fait montre d’une grande capacité de nuisance en bloquant le processus démocratique, au prix de la destruction du tissu économique et industriel de Kinshasa et des grandes villes du pays. Qu’on se souvienne des pillages organisés par l’armée sous son inspiration en septembre 1991, et en janvier et février 1993.
Après la mutinerie et les pillages de l’armée les 23 et 24 septembre 1991, Tshisekedi est porté, par consensus entre les différentes familles politiques nationales, à la tête du gouvernement le 28 du même mois. Contrairement à sa nomination de juillet 1991, cette fois, il accepte. Mais, coup de théâtre, le jour de la prestation de serment de son équipe gouvernementale, le nouveau Premier ministre biffera sur le texte d’engagement, les mots « le Président de la République garant de la Constitution et de l’unité nationale » qui suivait l’énoncé de Mobutu.
Si la cérémonie solennelle passe sans interruption, la sanction tombera quelques jours plus tard. Tshisekedi est révoqué le 21 octobre 1991. Une nouvelle crise politique s’ouvre. Elle est d’autant plus grave que les positions entre les deux grandes familles politiques se radicalisent singulièrement. Dans sa «Cour» si fréquentée, il va enrôler entre autres, des personnages clés de l’ancienne opposition de l’Union Sacrée dont certains deviendront responsables de ce qu’on appellera la tragédie Kasaïenne au Shaba (Katanga) : Jean Nguz a Karl i Bond et Gabriel Kyungu Wa Kumwanza.
Pour se jouer de l’opposition, Mobutu trouvera bien avant un palliatif dans un natif de la province du Bandundu, voisine de la capitale, croyant ainsi apaiser les populations kinoises et désamorcer en partie la crise. Il nomme le 23 octobre 1991 Bernardin Mungul Diaka, un prétendant « opposant« , mais sans grande envergure, aveuglé par l’argent et les honneurs. Ensuite viendront Nguz, Biridwa, Likulia jusqu’à sa fuite du pays vers le Togo et sa mort au Maroc. Aujourd’hui, c’est Samy Badibanga, un ex-UDPS qui a été débauché…
Le Rassemblement de l’opposition, Rassop 2016
L’Appel de Genval signé le 8 juin 2016 sanctionnant la naissance du Rassemblement des Forces politiques et Sociales acquises au changement (Rassop) soi-disant pour réunir l’opposition face à la Majorité présidentielle de Joseph Kabila n’est qu’une copie conforme de l’Union sacrée des années 1990. Plusieurs protagonistes de cette époque s’y retrouvent notamment : Pierre Lumbi Okongo, Charles Mwando Nsimba, Gabriel Kyungu Wa Kumwanza, Joseph Olenghankoyi Mukundji, Chritophe Lutundula Apala, Martin Fayulu pour n’en citer que ceux-là. Ainsi que quelques jeunes loups qui comme leurs illustres ainées ont eu à flirter avec les années de règne de Joseph Kabila.
Si les faits passés le 24 novembre 2016 autour du document contenant les propositions que la commission stratégique du Rassop a déposé auprès de la CENCO sont avérés, il y a lieu de s’en inquiéter sérieusement sur l’avenir immédiat et futur d’une opposition unie. Contesté par le Conseil des Sages mais confirmé par Christophe Lutundula membre G7 et responsable de la Commission Stratégies du Rassop, ce document ne crée-t-il pas un fâcheux précèdent au risque d’imploser l’opposition ? Le Tweet de Lutundula sur cette question n’étant plus aujourd’hui visible sur son compte, celui de Félix Antoine Tshilombo Tshisekedi restant toujours présent.
Félix A. Tshisekedi@fatshi13 Je tiens à préciser que le Rassemblement n’a fait aucune offre de partage du pouvoir avec la Kabilie. Ns restons disponibles pour la Cenco.
Dans cette polémique qui fait sourire la Majorité présidentielle, Lutundula n’y va pas par la main molle : le document a été rédigé sur demande expresse d’Etienne Tshisekedi et bien signé par lui-même. Les évêques de la Cenco l’examinent depuis son dépôt en ne se mêlant pas de querelles ridicules d’ego. Le Conseil des sages du Rassemblement ne s’est jamais réuni pour désapprouver les propositions contenues dans ce document ni nos signatures (…) que ceux qui soutiennent le contraire présentent des propositions différentes signées par Tshisekedi pour avancer. Avec ces propos presque désobligeants, Lutundula vise qui au sein du Rassop ?
On rappellera que Lutundula Apala dont le parti au sein du G7 tout comme du Rassop n’a pas plus de deux députés ne représente peut-être que sa personne. Il fut Vice-président du HCR-PT (Haut Conseil de la République-Parlement de Transition) issu de la CNS qui préféra Léon Kengo à la place de Tshisekedi, ouvrant ainsi la porte à la 3ème voie qui permettait à Mobutu de demeurer au pouvoir encore pour un temps.
Joseph Kabila qui sait très bien lire dans les intentions des politiques congolais depuis ses 15 ans de pouvoir au travers des mêmes conseillers que Mobutu à l’instar d’André Atundu Liongo a également très bien compris la leçon. La porosité entre sa majorité et l’opposition n’est plus étanche qu’on la croyait. La présence de certaines personnes présentes à Genval au dialogue de Kinshasa comme Marie-Ange Mushobekwa, Willy Mishiki, Tshombela et Emmanuel Ilunga ne fait-elle partie de cette stratégie cohérente de dynamiter un jour l’opposition ?
L’étouffement par ses services des dernières manifestations avortées du Rassop en octobre et novembre 2016, la nomination de Samy Badibanga (un débauché ex-UDPS) et les querelles d’aujourd’hui entre ces mêmes opposants du Rassop sont autant des demi-victoires à son actif. Il serait grand temps que Tshisekedi et les opposants ouvrent l’œil et le bon. Le Rassop ne devra donc pas rassembler à l’Usor (Union Sacrée de l’Opposition Radicale) d’hier. Il faut donc repenser les stratégies !