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RDC : La CENCO face au pouvoir, retour dans l’arène et grosse colère de Kabila

Face à l’incertitude de demain, la CENCO revient dans l’arène ; Kabila en colère. Flouée et humiliée dans sa bonne volonté lorsqu’elle avait accepté une mission de médiation pour une négociation directe entre la majorité et l’opposition, la CENCO n’a pas tardé de revenir dans l’arène. La mission des bons offices lui confiait par Kabila en octobre 2016 avait pour but de sortir le pays de la profonde crise politique devenue institutionnelle dans laquelle il est englué pour cause de non tenue de l’élection présidentielle de novembre 2016.

Dans son message à l’issue de la 54ème Session de l’Assemblée Plénière Ordinaire des Evêques membres et au titre si évocateur, l’Église catholique se repositionne face à un régime devenu sourd face à toutes les souffrances qu’endure le pays. « Le Pays va très mal. Debout, Congolais ! Décembre 2017 approche » la CENCO se rappelait ainsi le vendredi 23 juin 2017 au bon souvenir de tous les hommes de bonne volonté, dirigeants politiques sans distinctions y compris.

D’emblée, le ton y est donné : « Nous sommes profondément inquiets et préoccupés par la détérioration continue de la situation économique, sécuritaire et humanitaire ainsi que par l’impasse politique actuelle. Une minorité de concitoyens a décidé de prendre en otage la vie des millions de Congolais. C’est inacceptable ! Nous devons prendre en main notre destin commun ». A y voir de près, les Evêques n’ont pas digérés le fait d’avoir été utiliser par le pouvoir pour passer le cap du 19 décembre 2016, date de la fin du 2ème et dernier mandat constitutionnel du président sortant qui révèle tous les signes de se maintenir au pouvoir quoi qu’il en arrive. Raison de leur appel au peuple de « se mettre debout et ne pas céder ni à la peur, ni au fatalisme ».

Préoccupés par la dégradation quasi quotidienne du niveau de vie de la population avec une grave crise socio-économique principalement due « à la non-organisation des élections conformément à la constitution », les Evêques condamnent les tripatouillages autour de l’Arrangement Particulier, ce texte additif qui devait permettre la mise en œuvre de l’Accord de la Saint-Sylvestre le quasi « enterrement du Conseil National du suivi de l’Accord (CNSA) ».

Ils pointent également du doigt la corruption, l’évasion fiscale, le détournement des fonds publics qui « ont atteint des proportions inquiétantes à tous les niveaux. Un groupe de compatriotes, abusant manifestement de leur pouvoir, s’octroient des avantages économiques faramineux au détriment du bien-être collectif ». Pour eux, « des prétendues solutions mises en place qui ne contribuent pas à la cohésion nationale risquent plutôt de hâter l’implosion du pays ». Mais c’était sans compter avec les diverses réactions et l’onde de choc que cette sortie allait provoquer dans divers milieux du pays que de l’étranger.

Majorité et Opposition toujours aux antipodes

Si du côté de l’opposition, on s’en réjouit de voir enfin la CENCO réagir à ce qui est observé du côté de la Majorité comme le discrédit de l’Accord Politique Global et Inclusif du 31 décembre 2016, les critiques les plus sévères sont venu du côté gouvernemental. Et comme d’habitude, c’est le porte-parole et ministre de la Communication et des Médias Lambert Mende qui donne l’estocade même s’il reconnait la justesse de l’analyse de la situation du pays faite par la CENCO.

Pour lui : « L’analyse n’est pas fausse. Il y a des problèmes, bien-sûr. Mais, dans les causes, nous considérons qu’il y a une réticence à nommer le mal. Il y a effectivement ralentissement dans la mise en œuvre de l’Accord du fait du dysfonctionnement observé au sein de l’opposition où il y a des divisions. Mais ils n’osent pas appeler le Rassemblement à régler ce problème. Ils veulent généraliser la responsabilité et ça n’est pas très honnête ».

Et carrément d’accuser ensuite : « Le mal auquel nous faisons face, c’est aujourd’hui la prétention des anciens colonialistes à vouloir régenter à nouveau notre pays, 57 ans après notre indépendance. Et s’il faut que le peuple se prenne en charge, c’est contre les néocolonialistes. Nous sommes étonnés que les Evêques ne s’en prennent pas à ces gens-là. Au contraire, ils envoient un des leurs pour les soutenir à Genève. Mgr Fridolin Ambongo a été à Genève pour soutenir les néocolonialistes contre nous qui voulions que le Congo puisse retrouver son autodétermination. C’est une contradiction qui nous gêne beaucoup, bien que l’analyse soit équilibrée ».

La sortie de la crise et la colère de Kabila

Pour sortir de cette crise, la CENCO demande la tenue des « élections présidentielle, législatives et provinciales avant décembre 2017 » comme convenu dans l’Accord politique du 31 décembre 2016 tout en demandant à la CENI de travailler à la confection d’un fichier électoral fiable. Mais aussi au peuple « de mettre en avant le refus de baisser les bras et la nécessité de se mettre debout ».

Trois jours après la publication de leur lettre et les attaques du gouvernement, c’est autour de Joseph Kabila de s’en prendre aux Évêques.  Cela se passe à Lubumbashi, le lundi 26 juin 2017 au retour de sa visite chez son ami Jacob Zuma en Afrique du Sud. Devant les députés provinciaux, nationaux et les sénateurs du Katanga, mais aussi les confessions religieuses qu’il recevait en audience, Kabila s’est offusqué de l’absence de l’Archevêque de Lubumbashi Monseigneur Jean-Pierre Tafunga, qui se trouvait à un deuil selon le Vicaire général M. Moto.

Pas du tout content il a lancé à l’endroit de l’Eglise catholique : « Vous voulez créer le désordre ? Vous nous menacez s’il n’y a pas les élections en décembre prochain et vous dites que c’est décembre ou rien ? ». La même colère fougue n’a pas épargné les autres responsables des confessions religieuses dont Monseigneur Kapya Ntumba, de l’Eglise du Christ du Congo ECC, le bishop Mij Npalang de l’Eglise du Réveil, Justin Kachiz de l’Eglise Kimbanguiste et Useni Ngoy pour les Musulmans : « Ce sont les catholiques qui étaient les médiateurs lors des négociations de la Saint-Sylvestre. On a bien dit que si on voyait qu’on ne pouvait pas organiser les élections, le gouvernement, le CNSA et la CENI pouvaient proposer un autre calendrier. On ne peut pas organiser les élections si on n’a pas enregistré les électeurs au Kasaï ». Silence de cathédrale dans l’assistance révèle un participant et fin de la rencontre avec exigence par Kabila de voir Mgr Tafunga.

DOCUMENT

MESSAGE DE LA 54ème ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE ORDINAIRE DES ÉVÊQUES MEMBRES DE LA CENCO

http://cenco.cd/pays-va-tres-mal-debout-congolais-message-de-54-eme-assemblee-pleniere-ordinaire-eveques-membres-de-cenco/

Intervention du SG et porte-parole de la CENCO, Abbé Donatien Nshole

 

Le Pays va très mal. Debout, Congolais !

 

  1. Nous, Archevêques et Evêques, Membres de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), réunis en notre 54ème Assemblée Plénière Ordinaire à Kinshasa, du 19 au 23 juin 2017, mus par l’Evangile du Christ et éclairés par la doctrine sociale de l’Eglise, nous sommes penchés sur les conditions de vie de la population congolaise dont nous avons la charge pastorale.
  2. Nous sommes profondément inquiets et préoccupés par la détérioration continue de la situation économique, sécuritaire et humanitaire ainsi que par l’impasse politique actuelle.
  3. Le Pays va très mal

Situation socio-économique

  1. Il y a peu, la RD Congo jouissait d’une relative stabilité économique. En ces jours, la santé économique de notre pays est critique ; elle empire au jour le jour. Nous assistons au recul du taux de croissance, à la dépréciation de la monnaie nationale face aux devises étrangères à cause du flottement du taux de change. Le climat des affaires est plus que morose et décourage les investisseurs.
  2. La corruption, l’évasion fiscale, le détournement de fonds publics ont atteint des proportions inquiétantes à tous les niveaux. Un groupe de compatriotes, abusant manifestement de leur pouvoir, s’octroient des avantages économiques faramineux au détriment du bien-être collectif.
  3. Par conséquent, le pouvoir d’achat a sérieusement baissé au point que les familles peinent à joindre les deux bouts. Pour la grande majorité de la population congolaise, les conditions de vie sont devenues plus que précaires. En témoignent la sous-alimentation, l’incapacité d’accéder aux soins de santé primaire et à la scolarité, l’accumulation des arriérés de salaires, « l’explosion du chômage des jeunes favorisant la grogne sociale, le banditisme et le recrutement de jeunes dans les innombrables milices ». L’approvisionnement en eau et en électricité est devenu irrégulier dans les milieux urbains, tandis que les factures de consommation ne cessent d’augmenter.

Situation sécuritaire et humanitaire

  1. L’insécurité quasi-généralisée à travers le territoire national influe directement sur la vie des personnes. Elle porte atteinte à la dignité humaine et au respect des droits humains. C’est le cas au Grand Kasaï où les affrontements entre les forces de l’ordre et les miliciens ont causé beaucoup de pertes en vies humaines. Après neuf mois de conflit, il nous a été signalé à ce jour plus ou moins 3.383 morts, 30 fosses communes, plus d’un million de déplacés internes et 30.000 réfugiés en Angola.
  2. Nous y déplorons des destructions méchantes : 60 paroisses profanées et fermées, 31 centres de santé catholiques saccagés, 141 écoles catholiques endommagées et fermées, 3.698 habitations privées détruites, 20 villages complètement détruits. En dépit des efforts déployés par le Gouvernement congolais pour mettre fin à cette tragédie, en collaboration avec la MONUSCO, la situation demeure incertaine.
  3. Nous constatons aussi la présence massive, incontrôlée et permanente des groupes armés étrangers sur le territoire national semant désolation dans la population locale et constituant pour elle une véritable source d’inquiétude. Il s’agit notamment des rebelles de la LRA, de l’ADF NALU, des combattants sud-soudanais et tant d’autres.
  4. Nous continuons à signaler la présence des éleveurs Mbororo qui se sont installés dans les Provinces du Bas-Uélé, du Haut-Uélé et d’autres éleveurs « étranges » dans le Tanganyika, le Haut-Lomami, le Kwilu, le Kwango, la Mongala et l’Ituri. Ce phénomène n’augure-t-il pas la mise en œuvre du plan de balkanisation de la RD Congo ?
  5. Dans certains milieux, bien d’autres faits troublants nous tourmentent par leur gravité et leur répétition : le kidnapping et l’assassinat des enfants, des enlèvements de personnes et des vols à mains armées devenus récurrents, des attaques de paroisses et autres structures de l’Eglise catholique. Des évasions apparemment programmées des détenus des prisons de Makala et de Matete à Kinshasa, de Kasangulu, de Kalemie et de Béni demeurent pour nous un grand point d’interrogation. A ces situations, s’ajoute le dysfonctionnement des institutions provinciales issues du découpage territorial qui déçoit les espoirs et laisse un impact négatif sur la population.
  6. Le Nord-Kivu, le Tanganyika et l’Ituri comptent également beaucoup de victimes humaines et de déplacés internes dus aux affrontements entre les forces de l’ordre et les rebelles ainsi qu’aux tensions accrues entre ethnies et communautés, telles qu’entre les Batwa et les Bantous ; une tragédie qu’on semble oublier. Il se fait malheureusement que la population a abandonné les terres, les champs sont dévastés et la famine se fait déjà sentir.

Situation des droits humains

  1. La Constitution de la République garantit à tout citoyen le droit de jouir de ses libertés. Par contre, les restrictions du droit à la liberté d’expression et l’interdiction des manifestations pacifiques sont croissantes dans notre société. La répression des mouvements de contestation pacifique va parfois jusqu’à l’usage excessif de la force.
  2. Des défenseurs des droits humains, des acteurs politiques et sociaux dont les voix divergent de la pensée du pouvoir sont régulièrement menacés ou font l’objet d’arrestations arbitraires. Les responsables de ces violations ne sont pas poursuivis par la Justice et condamnés pour atteintes aux droits humains. Au lieu de la décrispation politique consacrée par l’Accord du 31 décembre 2016, nous assistons plutôt au durcissement du pouvoir. Nous observons, hélas ! une absence de l’autorité de l’Etat ainsi que du débat public et responsable sur toutes ces questions.
  3. D’où vient la crise actuelle ?
  4. La situation misérable dans laquelle nous vivons aujourd’hui est une conséquence de la persistante crise socio-politique due principalement à la non-organisation des élections conformément à la Constitution de notre pays.
  5. L’Accord politique global et inclusif du 31 décembre 2016 contient des pistes de solutions à la sortie pacifique de cette crise. Par manque de volonté politique, la mise en œuvre intégrale de cet Accord est insignifiante. Au mépris de la souffrance de la population, les acteurs politiques multiplient des stratégies pour le vider de son contenu, hypothéquant ainsi la tenue d’élections libres, démocratiques et apaisées. C’est pourquoi, nous exhortons toutes les parties prenantes à l’Accord à assumer pleinement leurs responsabilités de bonne foi et par amour pour la patrie. Des prétendues solutions mises en place ne contribuent pas à la cohésion nationale. Elles risquent plutôt de hâter l’implosion de notre cher pays. N’allons pas à contre-courant des idéaux de l’indépendance.
  6. L’Arrangement particulier qui devait être finalisé pour la mise en œuvre de cet Accord a été vidé de sa substance par les engagements particuliers non inclusifs. Il faut aussi noter que la loi relative au Conseil National du Suivi de l’Accord et du Processus Electoral (CNSA), organe fondamental dans la mise en œuvre de l’Accord, n’a pas été vraisemblablement inscrite à l’ordre du jour de la dernière session ordinaire du Parlement.
  7. Comment pouvons-nous sortir de la crise multiforme qui mine notre société ? Par nos prises de position, nous n’avons cessé de rappeler à la classe politique congolaise de prendre en compte les vraies aspirations de la population. Vous en êtes témoins. Malheureusement, nous ne sommes pas souvent écoutés. Cependant, pour la cause de notre pays et l’avenir de notre peuple, nous ne nous tairons point (cf. Is 62,1) et nous ne baisserons pas le bras.
  8. Que devons-nous faire ?
  9. Chers frères et sœurs, regardons où nous risquons d’aller. Le pays va très mal. Mettons-nous debout, dressons nos fronts encore courbés et prenons le plus bel élan (…) pour bâtir un pays plus beau que celui d’aujourd’hui (cf. L’hymne national congolais). Il est impérieux de nous impliquer nous-mêmes, de prendre notre destin en main, sinon notre avenir sera hypothéqué pour longtemps.
  10. Face au tableau sombre que présente aujourd’hui notre pays, la pire des choses est le découragement ! Nous vous le demandons instamment : il ne faut céder ni à la peur ni au fatalisme. Une minorité de concitoyens a décidé de prendre en otage la vie des millions de Congolais. C’est inacceptable ! Nous devons prendre en main notre destin commun. C’est le moment historique d’être « des ‘ambassadeurs du Christ’ (2 Co 5,20) dans l’espace public, au cœur du monde » et d’« avoir une présence active et courageuse dans le monde de la politique (…) » (Africae Munus, n.128, 131).
  11. Nous encourageons la poursuite de l’éducation civique et électorale ainsi qu’un engagement actif et pacifique de tous afin d’éradiquer les causes profondes de nos souffrances. En effet, en cette période préélectorale nous avons le devoir sacré de nous approprier les lois qui règlementent notre vivre ensemble, notamment l’Accord de la Saint-Sylvestre, l’unique feuille de route, solidement fondé sur la Constitution de la République, dont il faut exiger le respect et la mise en application intégrale par les signataires.
  12. La sortie pacifique de la crise actuelle exige la tenue des élections présidentielle, législatives et provinciales avant décembre 2017, tel que le prévoit l’Accord politique du 31 décembre 2016. Aller aux élections suppose l’enrôlement qui s’effectue, malheureusement, avec une lenteur inquiétante. Bien préparer les élections, c’est aussi se faire identifier et enrôler pour que la Commission Electorale Indépendante (CENI) dispose d’un fichier électoral fiable pour convoquer les scrutins dans le délai convenu.
  13. Nous condamnons la violence d’où qu’elle vienne et réaffirmons le caractère sacré et inviolable de la vie humaine. C’est pourquoi nous demandons la mise sur pied d’une enquête sérieuse et objective pour établir les responsabilités sur les atrocités commises au Grand Kasaï.
  14. Sans nous lasser, confions le processus électoral à Dieu, Maître de l’histoire. Aussi demandons-nous instamment aux prêtres, à partir du 30 juin, d’inviter dans chaque paroisse de nos diocèses le peuple de Dieu, ainsi que les hommes et les femmes de bonne volonté, à un moment de prière intense et de jeûne pour la Nation. La prière doit aussi nous disposer à rendre plus inventives notre solidarité et notre proximité fraternelle avec nos compatriotes vivant dans les zones de conflit en nous mobilisant pour une assistance humanitaire conséquente.
  15. Par l’intercession de la Sainte Vierge Marie, Notre Dame du Congo, que le Seigneur nous donne la clairvoyance de ce que nous devons faire et la force de l’accomplir pour un Congo meilleur qu’aujourd’hui.

Fait à Kinshasa, le 23 juin 2017

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